Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Gobelins. L’opérette et la farce ne s’y montrent guère. C’est le drame qui a les préférences du public, et les procédés les plus usés y produisent encore leur effet. C’est à faire envie d’être applaudi de la sorte, et puisque nous avons aujourd’hui un théâtre populaire subventionné, je me demande comment nos grands auteurs dramatiques ne se laissent pas aller à la tentation d’y faire représenter quelque œuvre nouvelle écrite sur une donnée simple et saine. Les applaudissemens qu’ils ne manqueraient pas d’y recueillir vaudraient, ce me semble, ceux d’un public plus raffiné, mais dont il ne leur est guère possible de réveiller le goût blasé qu’en lui servant des mets épicés. Sans doute, il y a quelque chose d’un peu candide à rêver la moralisation du peuple par le mélodrame. Mais, raillerie à part, le drame est assurément un moyen d’action très puissant sur les classes populaires, et ceux qui ont ce moyen à leur disposition peuvent faire facilement, sinon beaucoup de bien, au moins beaucoup de mal. Ce n’est pas qu’il y ait grand’chose à dire sur la moralité du répertoire qui défraie les théâtres de barrière. Le sens un peu gros des spectateurs ne souffrirait pas une apologie ouverte du vice et n’entendrait rien à un dénoûment qui laisserait le jugement de sa conscience en suspens. Mais trop souvent ces pièces sont écrites pour donner satisfaction à ses plus mauvaises passions politiques ou religieuses. Je me souviens d’avoir entendu applaudir avec frénésie, au théâtre de Montmartre, une pièce dont l’action se passait, si j’ai bonne mémoire, en Flandre et qui représentait un élève des jésuites livrant ses bienfaiteurs hérétiques à la mort pour obéir à ses anciens maîtres. Mais comme le méchant est toujours puni, du moins au théâtre, ce perfide mourait d’une mort ignominieuse au cinquième acte, de sorte que la morale y trouvait en dernier lieu son compte. A tout prendre, il ne faut donc pas trop déplorer un goût populaire qui provient d’un instinct assez noble, et si le théâtre est pour l’ouvrier parisien une occasion de dépense parfois exagérée, ce n’est cependant pas un lieu où il se démoralise et s’abaisse.

On ne saurait dire la même chose d’autres lieux de plaisir, de création relativement moderne, qui font aux théâtres de barrière une redoutable concurrence : je veux parler des cafés-concerts. Au temps que Michelet était professeur au Collège de France, il avait mis ses graves collègues en émoi par certaines leçons sur « les peuples qui chantent et les peuples qui ne chantent pas, » où l’on trouvait qu’il avait vraiment dépassé les bornes de la fantaisie. Et cependant il y a quelque chose de vrai dans la supériorité que Michelet, alors fort entiché de l’Allemagne, accordait aux peuples qui chantent. Les réunions chorales ou instrumentales, qui réunissent un grand nombre d’exécutans sont assurément le meilleur