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la classe populaire et faisons, puisque le mot comme la chose sont à la mode, un peu de psychologie parisienne, fût-elle parfois un peu morbide.

Le mot de prodigalité peut sembla exagéré, appliqué aux habitudes de l’ouvrier parisien, et cependant ce mot n’est pas trop fort si l’on compare son genre de vie avec celui de l’habitant de la campagne et cela même dans les départemens les plus voisins de Paris. Je sais dans un de ces départemens des paysans qui, de père en fils, possèdent des biens au soleil pour plusieurs milliers de francs. Ils passent les six jours de la semaine, voire la moitié du septième, à labourer leur champ, à faucher leur pré, à bêcher leur jardin. Le dimanche, dans l’après-midi, ils échangent leurs vêtemens de travail contre une blouse bleue bien lavée et ils se rendent au cabaret, où ils jouent au billard leur consommation, c’est-à-dire une bouteille de bière, un verre de vin, ou une tasse de café arrosé d’eau-de-vie. Ajoutez à cela, deux ou trois fois dans leur vie, un voyage d’un jour ou deux à Paris, lorsqu’ils y sont attirés par quelque circonstance exceptionnelle, et vous avez tous leurs plaisirs. Pour moi qui suis, depuis bien des années, témoin de ces laborieuses existences, c’est encore un problème qu’une âme humaine puisse vivre à si peu de frais, si constamment courbée vers la terre, sans un regard tourné vers l’idéal ni vers le ciel. Mais combien cette vie est différente de celle de l’ouvrier parisien, dont, sauf exception, des dépenses superflues ou nuisibles absorbent, peut-être pour un quart ou un tiers, le salaire quotidien. J’ai dit : sauf exception, et c’est là une réserve qu’il faut toujours faire lorsqu’il s’agit de mœurs parisiennes, car, à Paris, on rencontre également des prodiges d’économie et cela chez ceux qui gagnent le moins. C’est ainsi qu’au 31 décembre 1883 il y avait 184,438 déposans à la caisse d’épargne dont le livret ne dépassait pas 20 francs. Combien d’efforts, combien de sacrifices représentent ces modestes épargnes, il est impossible d’y songer sans émotion et sans respect. Mais, à côté de cela, quel gaspillage dans beaucoup d’existences auxquelles tout conseillerait au contraire la sagesse et la parcimonie! Il est impossible d’évaluer les milliers ou plutôt les millions de francs que les ouvriers parisiens dépensent chaque année en ajustemens, en menus plaisirs ou au cabaret. Il y a lieu cependant de distinguer entre ces différens emplois du salaire, car il en est de plus ou moins respectables. Passe pour les ajustemens. Il ne faut pas se montrer trop sévère pour les dépenses parfois superflues que l’ouvrier et surtout l’ouvrière parisienne font en effets de toilette. Une certaine recherche dans la mise est souvent l’indice de la dignité personnelle, et c’est un trait à l’honneur de la misère parisienne de ne pas s’accommoder des haillons sous lesquels la misère de Londres