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peine qui visite les lieux où elle a aimé, où elle a souffert. Elle est la grâce, le charme, la bonté, la poésie, la tendresse, la constance, et ce n’est pas un médiocre éloge pour une Mexicaine que de s’entendre dire, par celui qui l’aime, qu’elle est douce, belle, gracieuse comme le fut doña Malina.

Revenons à la prose, c’est-à-dire à la stricte vérité historique. La belle maîtresse de Cortès est, à coup sûr, aussi bien dans le passé que dans le présent, la plus intéressante figure de femme du Nouveau-Monde, où les héroïnes sont rares. Il y a dans cette fine silhouette, physiquement, sinon moralement, un vague, une demi-teinte, qui, je le répète, tiennent moins au temps écoulé qu’au manque de détails précis. En revanche, le caractère à la fois énergique et doux, tendre et passionné de la séduisante Indienne est nettement accentué. J’ai donné à l’histoire de doña Marina toute la précision compatible avec la vérité ; mais le milieu étrange où elle se meut, et surtout le costume peu familier et difficile à décrire dont j’ai dû la laisser vêtue, nuisent peut-être plus qu’ils n’aident à la juste vision de sa grâce et de sa personne, sans qu’il soit possible d’y remédier. Au résumé, si hardie que soit l’œuvre de restauration que j’ai essayé de réaliser, l’heure était venue de la tenter. Le monde marche, transforme, efface de plus en plus le passé. Encore quelques années, et il deviendrait impossible de montrer, dans le fait de la conquête du Mexique, cet élément obligatoire de tous les grands événemens humains, et, dans le cas présent, tout à fait négligé jusqu’ici : la femme.

Le lieu et la date de la mort de doña Marina sont inconnus, mais tout démontre qu’elle mourut jeune. Elle ignora toujours, sans doute, les tristes déceptions de Cortès lors de son second voyage en Espagne, où la cour et la nation s’occupaient de Pizarre et se souvenaient à peine de celui qui lui avait ouvert les voies. En 1562, époque à laquelle don Martin-Cortès fut, avec ses frères de naissance légitime, accusé de vouloir changer la forme du gouvernement de la Nouvelle-Espagne, et soumis à la torture, doña Marina n’apparaît pas. Si elle eût encore vécu à cette date, — elle n’aurait eu que soixante ans, — la noble femme, à défaut de Cortès déjà mort, serait certainement accourue défendre sa chair. Elle eût rappelé aux bourreaux que le sang qui coulait dans les veines de celui qu’ils martyrisaient injustement était le sang de deux êtres qui avaient donné à l’Espagne tout un monde, le sang d’Hernand Cortès et de son héroïque et tendre amie : doña Malina !


LUCIEN BIART.