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noble écuyer, ayant pour amis tous les officiers de Cortès, lesquels, aussi bien que leur chef, lui devaient en partie leur fortune, le silence ne se serait pas fait d’une façon aussi absolue autour de la belle jeune femme si elle ne l’eût volontairement cherché. J’ai parlé de La Vallière, et c’est véritablement à l’humble sœur Louise de la Miséricorde qu’il faut la comparer dans les dernières années de sa vie, en tenant compte, bien entendu, de la différence des milieux. Les milieux diffèrent, mais le cœur est un; il a partout les mêmes instincts et, en amour, ce sont partout les mêmes blessures qui le font saigner, se désespérer, pâtir.

Au résumé, l’oubli n’a pas plus voulu de la maîtresse du conquérant du Mexique qu’il n’a voulu de La Vallière, et doña Marina est aujourd’hui aussi vivante, plus vivante peut-être que Cortès. Sa beauté, sa grâce, son amour, son humanité, l’ont rendue immortelle. Que de vers espagnols la célèbrent, parlant de ses nobles qualités, de son amour désintéressé, de son héroïsme, de son expiation, et combien de légendes indiennes nous. la montrent tendre, charitable, dévouée ! Son ombre, dans les parties du Mexique qu’elle a traversées, plane au-dessus de toutes les sources, au-dessus de toutes les fontaines, apparaît assise à l’entrée de toutes les grottes, souriante, les mains pleines de fleurs. Elle est fleur elle-même, elle est oiseau, elle est brise, elle est parfum, elle est murmure. Quel Indien, aux heures crépusculaires, ne l’a vue se dessiner au sommet d’une colline, au milieu des rayons du soleil levant ou couchant, ou errer sous l’ombrage des cèdres séculaires qui la virent autrefois passer? c’est une figure aimable, bienfaisante, dont nul ne redoute l’apparition, car elle ne se montre aux heureux que pour leur sourire, aux malheureux que pour les consoler. C’est dans les replis de la Cordillère qu’elle aime à se promener, autour de la haute montagne qui porte son nom.

Elle est, au dire de ceux qui croient l’avoir le mieux vue, toujours parée de son huépil blanc brodé de fils rouges qui laisse deviner ses formes pures, et ce sont aussi des orchidées rouges qui se mêlent d’ordinaire aux tresses de sa luxuriante chevelure. Parfois elle se tient assise sur un rocher, effeuillant des roses moussues, — ces fleurs dont tous les Indiens sont amoureux, — au-dessus d’une eau fuyante ; parfois elle se tient debout sur un sommet, et ses cheveux dénoués flottent au gré du vent. C’est surtout, je le répète, dans les vapeurs matinales, parmi l’or, la pourpre, la nacre et l’opale qui teignent le ciel à l’heure où le soleil va surgir, ou dans les brumes éblouissantes qui suivent le coucher de l’astre, que la cherchent ceux qui veulent l’implorer. Ce n’est pas une fée, ce n’est pas une ondine, ce n’est pas une dryade; c’est une âme en