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à Dulcinée. On le regrette et, sous la rude écorce du guerrier, sous l’affabilité de l’homme de plaisir, sous la ferveur ardente du chrétien, on aimerait à sentir un peu plus de tendresse, de reconnaissance, d’âme! Qui ne trouverait originale, et digne de ses hauts faits, la page qui, par exemple, montrerait le héros se rendant en Espagne conduisant doña Marina? Plus encore que doña Catalina, dira-t-on, la belle Indienne eût été gauche à la cour! Qui sait? Cortès, si l’on eût voulu emprisonner son corps souple dans un vertugadin, dans les inflexibles rigidités des étoffes de brocart, — alors de mode, — la grâce féline de doña Marina se fût amoindrie. Mais, hardiment présentée sous les plis harmonieux du pittoresque costume de la province dans laquelle elle était née, quel n’eût pas été le succès de la séduisante Indienne? L’expression voluptueuse de ses yeux, son aimable sourire, sa marche ondulante, cadencée, troublante, lui eussent conquis toutes les volontés. N’oublions pas que, vive, intelligente, vaillante, elle n’était nullement inférieure, du moins comme éducation morale, aux femmes espagnoles de la même époque, et que la langue castillane lui était familière. Encore une fois Cortès, se présentant à la cour de Charles-Quint, fièrement appuyé sur doña Marina, semblerait plus grand encore que marié à la noble nièce de duc de Béjar, et ferait certes meilleure figure dans l’histoire.

Laissons ce rêve. Doña Marina, douloureusement résignée, vit-elle apparaître et régner à Mexico la seconde et brillante femme de Cortès ? Vit-elle celui qu’elle ne cessa jamais d’aimer, qu’elle n’accusa jamais, passer près d’elle triomphant sans la reconnaître? Autant de questions auxquelles on ne peut répondre d’une façon précise. Ce qui est, certain, c’est que la jeune femme vécut dans la retraite, loin de la petite cour dont elle avait été un moment la reine, puis qu’elle retourna dans son pays.

On a beau savoir que ceux qui souffrent sont importuns pour les heureux, on voudrait des exceptions, et le complet abandon de Cortès pèse sur sa mémoire. Nul ne pardonne à l’ambitieux qui brisa tant de vies humaines d’avoir désolé ce cœur de femme, de s’être montré ingrat. Tous ses historiens le justifient avec chaleur de la mort de doña Catalina, aucun n’a élevé la voix pour le disculper de l’abandon de doña Marina. Si, pourtant: un d’eux, un seul, a fait une allusion déplaisante au mariage de la jeune femme, que les écrivains mexicains n’ont accepté que comme un sacrifice, puisque les deux époux n’habitèrent jamais ensemble.

D’ailleurs le silence qui s’est fait autour de doña Marina, et qui laisse indécise jusqu’à l’époque de sa mort, est une réponse et prouve dans quelle profonde et modeste retraite elle vécut. Mariée à un