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le chevaleresque Diego Ordas et l’audacieux Pedro de Alvarado auquel sa chevelure rousse valut, dès son entrée en campagne, le nom de Tonathiu (le soleil) que lui donnèrent les Tlaxcaltèques. Puis venaient Velasquez de Léon, Alonzo Hernandez de Puerto-Carrero, Francisco de Morla, le diacre Aguilar, puis les pères Olmedo et Diaz, qui, de concert, continuaient à instruire la jeune femme des vérités du christianisme. Comment, dans cette pléiade, ne pas mentionner le loyal Bernal Diaz del Castillo, le futur chroniqueur, et aussi ce mystérieux Conquérant anonyme dont nous connaissons l’œuvre sagace, et dont nul ne saura probablement jamais le nom?

Quelles pages, dans le livre de la vie de Cortès, dans celui de la vie de doña Marina, que ce voyage plein d’heures périlleuses, mais aussi d’enchantemens! En prenant pour date extrême la prise définitive de Mexico, 13 août 1521, cette marche laborieuse, qui souffrit quelques reculs, ne dura pas moins de deux années. Pendant cette période, l’existence et le rôle de doña Marina furent conformes aux désirs de son cœur. Elle ne quitta pas une seule minute le héros qu’elle aimait, le suivant jusque dans les batailles, préparant un à un tous les actes importans de cette partie de sa vie, la plus belle, la plus héroïque et la plus glorieuse, incontestablement. Pour nous. Européens, le conquérant du Mexique, c’est Hernand Cortès; pour les descendans des Aztèques, c’est Malintzin, c’est-à-dire le maître aimé de cette belle, fine, et dévouée doña Malina dont nous ignorons presque l’existence, et qui mérite bien, par le rôle héroïque et bienfaisant qu’elle a joué dans l’histoire, que nous apprenions enfin son doux nom.

L’œuvre est accomplie ! Moteuczoma a succombé, involontairement frappé par un de ses sujets ; Mexico, abandonné, est repris après trente-six jours de luttes, et le grand temple du féroce, Huitzilipochtli est ruiné. L’énergique Cuauhtémotzin, prisonnier, ne peut plus lutter. doña Marina, qui s’est interposée pour l’arracher au supplice et qui a réussi, s’interposera en vain plus tard pour sauver la vie de l’héroïque souverain. Cette fois, Cortès passera outre, et ce sang, injustement versé, du plus noble de ses ennemis troublera longtemps les nuits du conquérant. Sa gloire, si brillante, ne voilera pas cette tache sanglante, indélébile, hélas! comme celle qui souillait la petite main de lady Macbeth.

Mais l’heure de ce crime inutile est encore éloignée, et l’œuvre grandiose de Cortès est achevée. Il règne, glorieux, satisfait, sur des millions d’hommes. Doña Marina, elle aussi, est fière de son œuvre. Elle habite un palais; elle a des gardes, des dames d’honneur, des suivantes, des pages, des écuyers. A la pompeuse étiquette de la cour de Moteuczoma, aux élégances raffinées, orientales,