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oiseaux chanteurs, pressés dans les buissons, entonnaient leur hymne à la nuit ! Cortès était poète, a écrit Bernal Diaz. Comme il devait écouter avec ravissement, assis aux pieds de doña Marina, les harmonies mystérieuses qui, aux heures crépusculaires, s’élevaient de la terre et montaient vers le ciel, où son regard s’étonnait de voir des constellations inconnues : lumière, arbres, plantes, fleurs, oiseaux, insectes, cris, gazouillemens, rumeurs, tout ce qui brille, chante et bruit avait des sons, des éclats, des formes étranges sur cette terre nouvelle, où l’ambitieux Espagnol avait trouvé en débarquant, et comme à souhait, « l’être providentiel » qui devait lui permettre, ainsi que le disent les vieux chroniqueurs, « de mener à bien la tâche pour laquelle il était né. »

Ce fut une épopée merveilleuse, en même temps qu’un discret poème d’amour, que la marche du conquérant vers Mexico. Il avait héroïquement brûlé les vaisseaux qui l’avaient amené, afin d’enlever à ses soldats toute velléité de retour, du moins avant que le sol qu’ils foulaient fût devenu leur. On avançait, suivant le cours du soleil, vers les contrées où, d’après les récits des Indiens, l’argent, l’or, les pierreries étaient matières viles, tant elles abondaient. Ce fut par lentes étapes, coupées par des escarmouches, par de longs campemens, de laborieuses négociations et de sanglantes batailles, que la petite armée atteignit enfin le pays montagneux des Tlaxcaltèques, le pays des éternels printemps. Là, plus de chaleurs énervantes; un climat sain, une température égale, des arbres chargés à la fois de fleurs et de fruits ; une suite de Capoues dont les Espagnols, avides d’or, dédaignèrent les délices pour s’élancer avec audace en avant, pour chercher ce fuyant Eldorado que des aventuriers, — j’en ai rencontré, — cherchent encore dans les déserts de la Sonora.

Quel tableau que celui de la marche aventureuse de cette poignée d’hommes, allant en somme vers l’inconnu! Mais nous n’avons pas à nous attarder sur la stratégie ; doña Marina seule doit nous occuper. Elle était alors, l’aimable femme, et cela presque autant que Cortès, l’âme de l’héroïque troupe. C’est grâce à elle que la petite armée apprenait le nom, l’histoire, la puissance des peuples dont elle traversait le territoire, qu’elle était, le plus souvent, cordialement accueillie par eux. Marina parlait déjà l’espagnol couramment, et chacun des lieutenans de son « mari » prenait plaisir à causer avec elle, à l’escorter. Elle savait leur nom, celui des soldats auxquels ils commandaient, et connaissait à fond leur caractère. Quel cortège que celui de ces héroïques hidalgos parmi lesquels se pressaient le désintéressé Gonzalo de Sandoral, le fougueux Cristoval de Olid, qui devait devenir traître et mourir par trahison,