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avec eux, d’écarter tout souvenir fâcheux, « montrant ainsi, a écrit avec justice Clavigero, que sa grandeur d’âme n’était pas inférieure aux autres dons qu’elle devait au ciel. »

À ce propos, il est bon de se souvenir que dans la civilisation déjà très raffinée des Aztèques, l’éducation des filles nobles était l’objet de grands soins. Doña Marina, lors de son expulsion de la maison paternelle, devait avoir appris déjà, en dépit de sa jeunesse, les préceptes que les prêtres et les prêtresses de sa religion se plaisaient à inculquer aux jeunes gens. « Garde-toi du mal, disaient ces préceptes ; il salit et trouble l’âme, comme la boue salit et trouble l’eau. Fuis le vice ; comme une herbe vénéneuse, il donne la mort à ceux qui le goûtent, et il est difficile de l’arracher du cœur dont il a pris possession ; quelle que soit ta condition, sois bon, doux, serviable, modeste: aime chacun, pour que chacun t’aime. » Ces maximes, sa conversion au christianisme, dans la morale duquel elle les retrouva, ne fit que les ranimer et les renforcer dans l’esprit de doña Marina. Elle sut être bonne, serviable, modeste ; elle sut pardonner, aimer et se faire aimer.

Eut-elle beaucoup à souffrir de sa condition d’esclave ? Physiquement, non ; moralement, oui. Elle était assez âgée pour mesurer la distance qui séparait la position à laquelle on l’avait condamnée de celle dans laquelle elle avait été élevée, et ses souvenirs d’enfance, ses protestations vaines, étaient bien faites pour l’attrister. Toutefois, rappelons-nous que l’esclavage, pas plus au Mexique qu’au Yucatan, ne représentait ni le travail forcé, ni la position infime, ni les occupations dégradantes auxquelles le mot fait songer chez nous. Puis encore, au milieu de la nature luxuriante, souriante du pays où naquit doña Marina, en présence d’un soleil toujours radieux et d’arbres toujours en fleurs, la tristesse n’atteint jamais au désespoir et ne prend jamais les formes sombres qu’elle affecte sous nos rudes climats. En outre, doña Marina possédait un caractère enjoué, heureux, et la résignation aux caprices, aux coups de la fortune, était une des vertus que savaient et savent encore, du reste, pratiquer les femmes de sa caste et de sa nation.

En 1519, à l’heure où Marina atteignait sa dix-septième année, Cortès explorait les côtes du Yucatan et s’approchait de celles du Mexique proprement dit. Il avait, dans un de ses débarquemens, rencontré un diacre espagnol nommé Géronimo Aguilar, lequel, fait prisonnier dix années auparavant par les Indiens, avait appris la langue maya. C’était là un précieux auxiliaire pour le futur conquérant, aussi fut-ce avec des démonstrations de joie qu’il accueillit son compatriote.

Continuant leur route, les navires espagnols atteignirent l’embouchure