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ouvrir son esprit, vif et pénétrant par nature. Or, l’enfant venait d’atteindre sa septième année environ lorsque son père mourut. Sa mère, s’étant assez vite remariée, eut bientôt un fils de sa nouvelle union et Marina, — il nous faut commettre cet anachronisme de lui donner avant l’heure ce nom espagnol, aucun écrivain ne nous ayant conservé celui qu’elle portait avant son baptême, — Marina devint promptement un sujet de jalousie pour son beau-père, dont le fils ne pouvait prétendre qu’à une faible part d’héritage. Peu à peu entraînée par son mari et aussi par l’amour partial qu’elle portait à son fils, l’ex-veuve consentit à une action qui, si elle n’avait pour garant l’honnête Bernal Diaz, nous arracherait un involontaire sourire, tant elle ressemble à ces banales histoires dont abusent nos modernes romanciers.

Donc, cédant à la préférence qu’elle ressentait pour son fils, la mère de l’orpheline consentit à une substitution ; l’enfant d’une esclave ayant succombé, on présenta son corps comme étant celui de Marina, et l’on célébra pompeusement les funérailles de l’héritière du domaine de Païnala. Pendant ce temps, la pauvre petite était emmenée par des marchands de Xicalanco, ville située sur la limite du royaume indépendant de Tabasco. Arrivés au terme de leur voyage, ces marchands cédèrent l’enfant qui leur avait été donnée, peut-être même vendue, à leurs voisins d’au-delà du fleuve, et Marina, conduite dans la ville de Centlan, résidence du roi des Tabasqueños, devint, par la suite, une des esclaves de ce monarque. Dans cette condition fâcheuse, et malgré son extrême jeunesse, elle n’oublia pas sa noble origine. D’une intelligence précoce, elle apprit vite la langue maya, la seule usitée dans le Tabasco et le Yucatan, sans pour cela négliger l’aztèque, qu’elle parla toujours, paraît-il, avec une rare correction : c’est la connaissance de ces deux langues qui, par la suite, devait la mettre en rapport avec Cortès, et ajouter de si étranges chapitres à sa romanesque destinée.

En vérité, il faut le répéter, s’il ne s’agissait de faits ayant bientôt quatre cents ans de date et s’appuyant sur le témoignage du loyal Bernal Diaz del Castillo, on sourirait de cette histoire. Mais Bernai raconte encore et cela sous la foi du serment : « Ce que je dis, je certifie l’avoir vu et entendu. Amen ! » que, lors du voyage de son général dans le Honduras, en 1524, doña Marina, traversant le pays où elle était née, vil sa mère et son frère se présenter devant Cortès, comme titulaires du domaine de Païnala. Ils furent terrifiés en voyant celle qui avait été autrefois vendue, spoliée, commander, dans leur langue, à ces terribles étrangers devant lesquels chacun se courbait. Convaincus que la jeune femme allait tirer vengeance du passé, ils s’humiliaient d’avance. doña Marina les accueillit avec bonté, les rassura, les combla de dons et prit soin, dans ses entretiens