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les conservateurs de la droite n’auraient pas manqué de se joindre à la première occasion : c’eût été l’affaire d’un instant. — La majorité était-elle enfin avec M. Clemenceau, qui comptait parmi les victorieux dans le voie contre les sous-préfets ? Il est possible que M. le président de la république eût agi en homme d’esprit et peut-être en politique avisé en appelant M. Clemenceau, en le mettant en demeure de prendre le pouvoir. Si M. Clemenceau avait refusé, il avouait son impuissance ; s’il avait accepté, il n’en aurait pas en vraisemblablement pour longtemps parce qu’en définitive les radicaux amis de M. Clemenceau qui parlent toujours de l’opinion, de la volonté nationale, de la majorité républicaine, ne sont qu’une minorité dans le parlement comme dans le pays. C’eût été une fantasmagorie de plus dissipée ! Il aurait fallu toutefois, nous en convenons, une certaine hardiesse pour tenter cette expérience, qui pouvait être hasardeuse.

A vrai dire, les difficultés étaient partout, dans toutes les combinaisons auxquelles on pouvait songer ; elles tenaient à la pénurie des hommes, quoique les candidats au pouvoir ne manquent pas, aussi bien qu’à la confusion parlementaire et à ces récens incidens qui ont ajouté encore au trouble des partis. Elles se multipliaient à chaque pas, et voilà sans doute comment, après quelques essais infructueux, on a fini par revenir à quelque chose qui ressemble à l’ancien ministère, avec M. de Freycinet de moins et M. Goblet comme président du conseil, avec un ministre des finances qui, au lieu d’être M. Sadi-Carnot, est M. Dauphin, sénateur d’Amiens, et un ministre des affaires étrangères qui n’a pas été aisé à découvrir, puisqu’il a fallu aller chercher, en désespoir de cause, un ancien directeur des cultes, M. Flourens ! — Ce n’est point évidemment une solution ; on ne peut pas s’y tromper, c’est tout simplement le dernier ministère diminué, encore meurtri de ses échecs dans la discussion du budget, et la déclaration que le nouveau président du conseil, pour son avènement, est allé lire devant les chambres, n’a certes rien de triomphant. C’est la déclaration, d’un gouvernement qui est obligé de commencer par demander des douzièmes provisoires, et qui n’est pas sûr d’avoir un lendemain. Le cabinet qui vient de naître ou de se métamorphoser ne se permet pas, il l’avoue modestement, les longues ambitions. Il s’étudie à éliminer les questions qui diviseraient la majorité républicaine dans le parlement, et il se garde d’exagérer les réformes qu’il proposera dans l’espoir de donner satisfaction à quelques-uns des votes de la chambre. Il sonne une petite fanfare pour les lois scolaires, et, pour le reste, il demande crédit ; il fait un humble appel à la confiance, qui, du premier coup, il faut l’avouer, n’a pas eu un brillant succès. Le nouveau président du conseil tente assurément une entreprise singulière, qui serait difficile pour tout le monde, qui l’est encore plus pour lui dans la position qu’il s’est faite personnellement. Par le soin qu’il a mis à