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l’ordre religieux, et dès qu’ils ont la main à l’œuvre, ils ne réussissent qu’à tout désorganiser ; ils tombent aussitôt dans quelque lamentable gâchis comme celui où ils se débattent aujourd’hui, mettant la confusion dans les finances, qu’ils prétendent réformer, ou renversant un ministère qu’ils n’étaient peut-être pas pressés de mettre à bas.

Cette chambre agitée et frivole, elle a suivi son instinct, elle est allée devant elle sans regarder ce qu’elle faisait ; mais si elle a sa responsabilité devant le pays, le gouvernement a sûrement aussi la sienne, et le président du conseil qui vient de disparaître ne fait après tout qu’expier les faiblesses d’une politique qui n’a su ni se fixer ni agir. Chose étrange ! M. de Freycinet, par son éducation, par ses traditions, par ses habitudes, par son esprit, est évidemment un modéré, et toutes les fois qu’il a été au pouvoir, il a cru fort habile de ménager et de flatter les radicaux, de leur donner des gages, de leur laisser tout espérer. Il a eu cette bizarre ambition d’être le chef de ministères en bonne intelligence avec les camps les plus extrêmes. Jusqu’à ces derniers temps, même au moment où chaque article du budget était mis en pièces, il s’ingéniait de son mieux à gagner, à retenir les radicaux. Il gardait sa mauvaise humeur pour ceux qui lui donnaient leur vote, il n’avait de mielleuses paroles que pour ceux qui votaient contre toutes les propositions ministérielles. M. de Freycinet n’ai pas vu qu’avec ces fausses tactiques il se créait une véritable impuissance, il se mettait dans l’impossibilité de prendre une initiative sérieuse, d’agir en véritable chef de gouvernement. Sans nul doute, si, au lieu de tout livrer par ses réticences ou par ses promesses, comme il a paru le faire quelquefois, il s’était expliqué nettement, résolument devant la chambre dès le commencement de la discussion du budget, il aurait rallié bien des suffrages indécis et contenu bien des velléités hostiles s avec le talent qui ne lui manque pas et un peu de fermeté, il eût prévenu l’indiscipline des partis. Lorsqu’il est arrivé au dernier moment, il était trop tard, la chambre était déjà trop engagée dans ses aventures budgétaires pour s’arrêter devant un conseil de prudence ou même devant une menace de démission. M. de Freycinet est tombé, il y a quelques jours, comme il est déjà tombé plus d’une fois, comme sont tombés, d’ailleurs, bien d’autres même parmi les conservateurs pour avoir hésité à soutenir devant le parlement des opinions précises, un programme de modération et de prévoyance, pour avoir craint de s’aliéner des alliés compromettans. — Il n’aurait pas réussi quand même, dira-t-on. D’abord ce n’est pas bien certain, il n’est pas sûr que ceux qui savent si peu ce qu’ils veulent n’eussent pas subi l’ascendant d’une volonté ferme, d’un esprit éclairé et résolu. Dans tous les cas, le président du conseil serait tombé en homme défendant les idées, les traditions, les règles, les garanties d’un vrai