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théâtre monte la Patrie en danger. M. Céard n’a pas besoin d’attendre jusque-là pour savoir quelles diverses formes de langage, et toutes historiquement vraisemblables, ses maîtres attribuent à un émule de Marceau, ou bien de Danton, ou à un gentilhomme sceptique, ou à une vieille chanoinesse, ou à une fille noble : si hommes de lettres et si bien de leur temps que soient MM. de Goncourt, ils se gardent de faire converser sur la scène, affublés de noms d’emprunt, des hommes de lettres contemporains. Mais, de M. Céard malavisé, il suffit que j’en appelle à M. Céard plus heureux : en maintes parties de son ouvrage le dialogue a cette élégance naturelle que donnent les mots justes ordonnés selon le mouvement même de la pensée ; pourquoi le plaisir que nous prenons là, ne le trouvons-nous pas par toute la pièce ?

Un scénario qui résume l’action du roman et qui ravive le souvenir de quelques-unes de ses jolies pages, voilà, au demeurant, l’essai de M. Céard. Il a vivement plu, le premier soir, à des spectateurs familiers avec l’œuvre de MM. de Goncourt ; je doute que le commun du public y trouve le même intérêt. Mlle Cerny, pour moi, n’est pas la Renée du livre. Elle est plus sautillante que primesautière ; gracieuse tant qu’on voudra, mais maniérée ; sa mutinerie même laisse voir la préméditation et la conscience de soi. L’esprit de Renée, sa mimique, c’est un perpétuel impromptu : ceci, c’est un impromptu fait à loisir. Le héros de la soirée, à mon avis, un héros sans panache, c’est M. Oumény, chargé du rôle de Denoisel : l’heureux abandon de sa démarche, de sa tenue et de son geste, la mesure de ses intonations, donnent l’illusion de la réalité ; s’il ne portait un monocle dont il se sait trop bon gré, ce ne serait pas un comédien, mais un homme.

« Qu’est-ce qu’un vaudevilliste ? ont dit MM. de Goncourt. C’est un homme qui collabore. » M. Meilhac, cette fois, n’a collaboré avec personne ; mais ce n’est pas pour cette raison seulement que l’auteur de Gotte, représentée au Palais-Royal, n’est pas un vaudevilliste.

Il y a vingt-six ans déjà, un maître critique, dont la sagesse est volontiers hardie, mais qui ne passe pas pour un émeutier, s’inquiétait de l’état de notre théâtre et se demandait s’il ne voyait rien venir de nouveau ; et ce maître critique, dont le goût ne sera pas soupçonné d’être bas ni frivole, voyait venir M. Meilhac. M. Émile Montégut écrivait, à cette place, en 1860 : « Êtes-vous assez exempt de préjugés pour ne plus vous laisser abuser par des rabâchages débités d’un ton solennel et par de pompeuses inutilités ? Êtes-vous ennuyé des platitudes mélodramatiques, et, en un mot, êtes-vous, pour votre bonheur, assez blasé pour n’être plus amusé que par les œuvres où se rencontre un grain d’originalité, aussi petit qu’il soit : eh bien ! alors, allez-vous-en aux Variétés voir la pièce de M. Henri Meilhac : Ce qui plaît aux hommes. » Et le successeur de Gustave Planche, en philosophe