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obscures ; elles entrent, elles se nomment, elles sortent : quels fantômes ont passé ?

Le pis, c’est qu’Henri lui-même ne se révèle guère avec plus de force. A peine entrevu au premier acte, il reparaît, au second, en compagnie de Mme Bourjot : c’est l’heure de la rupture, à laquelle doit succéder le nouveau pacte ; on se souvient de ces deux scènes, traitées en dialogue justement par MM. de Goncourt. Mais ce dialogue, sans doute, a paru trop audacieux pour le théâtre ; par quoi est-il remplacé ? Par quelques brèves répliques et par quelques gestes. « Adieu, monsieur ! — Au revoir, madame ! .. » C’est à peu près toute la tragédie qui se joue entre la maîtresse et l’amant. Ces formules, j’allais dire ces énigmes échangées, Henri et Mme Bourjot en ont fini. Cette querelle même dont j’ai loué le début, cette altercation d’Henri avec sa sœur s’arrête court, ou du moins elle aboutit trop vite à une dissertation de la jeune fille, que le jeune homme a grand tort de ne pas interrompre. Après quoi, Henri ne figure plus vivant sur la scène que pour subir la menace d’un soufflet et donner un cartel. Voilà qui est bien ; mais le duel moral, que nous espérions, celui qui nous importe le plus, fait défaut : la vaillance de Renée ne peut que s’escrimer dans le vide. Faute d’un adversaire, point de conflit, point de drame : des tirades qui sont au drame ce que le mur, dans l’art de l’épée, est au duel. D’un bout à l’autre de la pièce, Renée ne fait guère que répéter cet exercice, le plus souvent en face du prévôt Denoisel qui lui fournit les parades. Les autres personnages, d’ailleurs, ne font que gesticuler : M. Mauperin lui-même, qui semblait doué de la parole, ne l’était que pour l’exposition de la pièce. Aussi bien, le peu que nous savons du caractère d’Henri, c’est par ces premières phrases de son père destinées au public. Et, d’autre part, Renée ne se fie pas à son babil naturel du soin de nous faire comprendre quelle est sa complexion morale et quelle fut son éducation : au moment où s’échauffe le débat avec son frère, elle croit devoir, pour se commenter elle-même, débiter une conférence sur la jeune fille moderne.

Mais je touche ici au reproche que je veux faire le plus durement à M. Céard : c’est que trop de répliques de ses personnages, trop de leurs discours sont manifestement écrits et récités. M. Mauperin annonce sans barguigner que son fils « a tous les scepticismes pratiques ; » cet ancien soldat, ce bon raffineur, use des pluriels de M. Rouher. Et cette conférence de Renée ! Dans les cours de demoiselles, cela s’appelle « un style. » Je ne suis point assuré que ce soit là « l’écriture artiste » conseillée aux romanciers par M. de Goncourt ; mais c’est de l’écriture, certainement, et ce n’est rien de cette a langue littéraire parlée » que le même auteur recommande aux dramaturges. Il se peut que, pendant l’Exposition universelle de 1889, à titre de pièce commémorative de la Révolution, un directeur de