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Le second acte est précédé d’une petite marche colorée, dont le milieu seulement nous a paru commun. D’ailleurs, sauf ce passage d’une patrouille espagnole, presque rien ne rappelle l’occupation ennemie ; le drame se poursuit dans l’intimité. Glaire, seule d’abord, est bientôt rejointe par son médiocre pore. Ah ! le fâcheux personnage, et quels duos il occasionne ! L’air de la jeune fille attendant, comme Rachel, la venue du bien-aimé, est délicat ; il passe par de fines nuances de sentiment : espoir, gaîté, mélancolie ; il est plein d’amour et de détresse. Au-dessus de lui, le carillon tinte, et la voix de Mlle Isaac tinte elle-même comme une clochette d’or. Mais voyez le danger des situations déjà consacrées. Claire attend comme Rachel, disions-nous. Est-ce bien comme elle ? et ces périlleuses analogies ne creusent-elles pas plus profond l’abîme entre le talent et le génie ? Pourtant la scène est touchante, et de celles qui pourraient laisser croire que si, dans Egmont, il n’y a pas une seule figure achevée, même celle de Glaire, la faute n’en est pas toute au musicien. — Citons encore dans le duo suivant un joli couplet d’Egmont : Parfois la foule est mensongère ! jeté avec une grâce à demi italienne sur un léger dessin d’orchestre. Le duo s’achève par un nocturne harmonieux, et l’acte, par le retour de l’insupportable Brackenburg. Toujours la Juive ! Mais le vieil Éléazar sait autrement jeter aux coupables la malédiction d’un père.

Au troisième acte, nous sommes chez la gouvernante, Marguerite de Parme. Cette aimable personne chante en se promenant un air aimable comme elle, véritable air de princesse, de princesse sympathique, qui mérite qu’on regrette son départ. La fête est traitée avec élégance ; à la fine pavane je préfère encore la ritournelle de clarinette, hachée de trombones sinistres, qui accompagne la retraite silencieuse des seigneurs et des dames devant le duc d’Albe. Ces détails ont leur prix, mais la brusque entrée de Claire les efface tous. Voilà pour la première fois une secousse puissante. L’orchestre frémit, et Claire, haletante, commence son récit : Je me tenais dans l’ombre. Il est d’un bout à l’autre excellent, éperdu d’épouvante, avec des cris d’angoisse et de subites détentes de faiblesse et d’amour. Il est trop tard pour fuir ; on arrête Egmont et le drame musical se noue. Bonne entrée des chœurs, bel éclat, beaux récitatifs d’Egmont, tandis qu’à l’orchestre revient, plus pathétique et moins vulgaire, le thème patriotique du premier acte. Ce finale, qui indique chez M. Salvayre l’instinct de la scène, la possession du procédé dramatique, et ce que les rapins de la musique appellent, je crois, la patte, trahit aussi des remaniemens, des mutilations peut-être. C’est du théâtre, et du meilleur, mais ce n’est guère qu’un coup de théâtre ; comme partout, l’espace manque et l’inspiration étouffe. Le compositeur a lutté vaillamment contre la vulgarité du dernier