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vainement de le reconquérir ; il faut un orage pour ramener l’infidèle au colombier, où s’achève l’innocente petite sauterie. Ne cherchez là ni le mécanisme amusant de Coppélia, ni la poésie des bois sacrés, comme dans Sylvia, ou celle des landes bretonnes comme dans la Korrigane. Cherchez-y moins encore les mélodies de M. Delibes ou de M. Widor. Du premier seulement quelques réminiscences traversent çà et là le ballet de M. Messager : elles font plaisir.

La musique personnelle du compositeur, bien que finement instrumentée, comme presque toute musique du jour, a peu de couleur et de relief. Elle est trop souvent assortie à la banalité du scenario. Le premier acte est le meilleur ; il renferme un charmant pas de deux. Mlles Mauri et Sanlaville dansent à ravir ce pimpant duo. Tout ce que peuvent faire des pigeons, ou presque tout : coups de bec, battemens d’ailes engageans, fuites précipitées, elles le font. Elles roucoulent, dodelinent, se rengorgent par devant, se cambrent par derrière ; on ne saurait imiter plus joliment le manège des plus aimans des oiseaux. J’apprécie moins le solo de violon qui symbolise, à la fin du premier acte et au cours du second, la tristesse de la séparation. Cette mélodie, assez insignifiante, ne méritait peut-être pas l’honneur d’un solo et surtout d’un soliste comme M. Berthelier.

Le second tableau n’est qu’une suite de danses hongroises dans un paysage grec. Sur des czardas trop connues, sur une romance de clarinette un peu terne, sur une valse presque maussade, sur une fanfare de quatre trompettes, le divertissement tzigane suit le cours de tous les divertissemens. Mlle Mauri tourne et retourne son buste gracieux, s’élance dans les bras et jusque sur le dos d’un hussard. Comme autrefois dans les Huguenots, un danseur bondit à son tour et défend les traditions ridicules de la chorégraphie masculine. Dans un coin du théâtre, des capitans jouent aux cartes avec Mlle Sanlaville. L’un d’eux est un géant, l’autre un grotesque. Ils portent des bottes, des chapeaux à plumes et gesticulent avec emphase. Tout cela ne nous touche guère. Décidément, nous ne sentons pas les beautés d’un ballet. Peut-être est-ce notre faute. Aussi quand le rideau tombe, un scrupule nous prend, presque une inquiétude pour l’avenir, et les vers du poète chantent en nous :


Faut-il que tant d’objets si doux et si charmans
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-Je passé le temps d’aimer ?


Vous voyez bien que les ballets font songer à tout autre chose qu’à la musique.