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pratiques, modérées ; il n’admettait pas les prétentions du parti du home rule irlandais, sans exclure toutefois la possibilité de donner satisfaction à la partie légitime de ces prétentions. Il ouvrait de grandes espérances au parti de la séparation de l’église et de l’état. L’union se fit, complète, sur ce programme entre toutes les fractions du parti libéral, dont chacune y avait trouvé pâture à son goût. Le programme de lord Salisbury ne fut en quelque sorte qu’une réédition limitée et adoucie de celui de M. Gladstone. Il promettait, lui aussi, l’extension du gouvernement local ainsi que des réformes foncières, et revendiquait le maintien de l’unité de l’empire sans répudier la pensée d’une mesure de réorganisation politique pour l’Irlande. Le marquis de Salisbury ne réapparaissait vraiment tory, et tory selon l’ancienne méthode, qu’au sujet de l’église, dont jamais il n’accepterait la spoliation. Bien que des deux côtés on eût parfaitement compris la signification du discours prononcé le 25 août par M. Parnell à ses lieutenans, ni le leader libéral ni le chef des conservateurs n’y avait répondu nettement, soit par un refus catégorique, soit par une promesse formelle d’adhésion. L’un et l’autre s’étaient contentés de protester de la nécessité de ne pas rompre l’unité de l’empire. De même, les candidats à leur tour évitèrent de parler de l’Irlande. Cette question que chacun voyait grandir, étendant son ombre chaque jour plus large sur la scène politique, on affectait de l’ignorer. C’était la plus sérieuse, et ce fut la moins discutée. On la craignait, on la fuyait.

Le pays restait extrêmement calme en dépit de l’agitation des principaux chefs de corps et du bourdonnement oratoire des candidats. Ce scrutin, qui mettait en ligne deux millions d’électeurs nouveaux, qui faisait faire à l’Angleterre, selon une expression favorite de nos voisins, un saut dans les ténèbres, n’inspirait ni enthousiasme ni frayeur. Même la dénonciation faite par M. Parnell de l’union de l’Angleterre et de l’Irlande n’avait excité d’indignation que dans quelques bureaux de journaux. La protestation la plus véhémente, la plus chaleureuse, avait été celle de John Bright, et John Bright était un homme du passé. L’Anglais moderne ne ressent pas, en présence des innovations constitutionnelles qui se produisent dans son pays, les émotions qui agitèrent les générations de 1832 et de 1848, même celle de 1868. Ce flegme philosophique est-il le résultat d’un long exercice de la liberté de discussion qui a fini par émousser le sens et la portée des mots, ou, comme on l’a dit, de la foi profonde qu’ont nos voisins en leur étoile, en la constance de leur bonne fortune ? Ils ont tant de fois échappé à des périls, réels ou imaginaires, que le scepticisme les a envahis, et qu’en ce moment ils s’aperçoivent à peine des transformations que subit l’essence de leur