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descendait si vite la pente de la démocratie socialiste. L’heure de la séparation vint enfin. Pendant une trêve de quelques semaines, on allait prendre un repos bien gagné, chasser, rentrer ses récoltes, faire un tour sur le continent. En septembre ou octobre commencerait la grande lutte devant le suffrage, le débordement oratoire, la poussée gigantesque des programmes, la mêlée furieuse des invectives personnelles.


III

Le cabinet conservateur, qui devait son existence à l’appoint du groupe irlandais de la chambre des communes dans le vote décisif du 8 juin, pouvait-il compter sur le concours de ce groupe et de son chef lorsqu’il s’agirait pour les électeurs irlandais en Angleterre d’opter entre les deux grands partis au moment des élections générales ? Le marquis de Salisbury se croyait assuré de l’affirmative. Il avait prodigué les avances à M. Parnell. Grâce aux conservateurs, le régime des lois d’exception allait cesser en Irlande le 17 août. Plusieurs bills pour venir en aide aux classes pauvres irlandaises avaient été votés. On avait envoyé à Dublin, comme vice-roi, lord Carnarvon, auquel même les autonomistes avaient fait bon accueil. M. Parnell ne pouvait pas compter sur les libéraux depuis que M. Gladstone avait ostensiblement déclaré que le maintien des lois de coercition lui paraissait nécessaire. Il est évident qu’à cette époque précise, en août 1885, il crut qu’il pourrait obtenir des conservateurs XIIIe mesure de home rule, un système de gouvernement semi-indépendant pour l’Irlande, que le parti libéral ne lui accorderait jamais.

Dans les premiers jours d’août, M. Parnell eut avec le vice-roi, lord Carnarvon, une entrevue sur la portée et le caractère de laquelle s’est élevée dans ces derniers temps entre les deux interlocuteurs une controverse des plus vives qui a joué un grand rôle dans les récentes élections générales de 1886 et qui n’a point fait une lumière complète sur les points en litige. Lord Carnarvon a déclaré que l’entrevue avait été demandée par le chef des autonomistes, et celui-ci a contesté le fait. Il paraît certain que le marquis de Salisbury fut tenu au courant des incidens qui amenèrent cette conférence, mais il a toujours nié avec la plus grande vivacité qu’il eût accédé à un arrangement quelconque ou que lord Carnarvon eût engagé, à quelque degré que ce fût, la responsabilité du cabinet dont il faisait partie. D’après les assertions de lord Carnarvon, la conversation n’aurait jamais dévié des considérations les plus générales sur l’état politique et économique de l’Irlande, sur l’opportunité de l’organisation d’un régime représentatif local qui donnerait aux Irlandais un contrôle efficace sur la direction de leurs