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le paiement de trois années de rente, dont deux par le fermier et une par l’état. C’était déjà du pur socialisme.

Mais, de même qu’en 1881, une nouvelle loi d’exception the Crimes Act ou loi pour la répression des crimes agraires et la suppression de la Land League détruisirent, aux yeux des chefs irlandais, le bon effet de l’Arrears bill. M. Parnell, loin de désarmer, fortifia encore ses procédés d’opposition contre la Grande-Bretagne en créant, à la fin de 1882, la Ligue nationale, dans laquelle vinrent se fondre toutes les organisations existantes tendant à briser les liens entre l’Irlande et le Royaume-Uni. En peu de temps, la Ligue devint toute-puissante. Dans un banquet à Dublin, en 1883, son chef put à bon droit se vanter d’être désormais le maître de la situation parlementaire en Angleterre.

Après trois sessions, la majorité libérale de M. Gladstone, qui avait suivi docilement son leader dans ses marches et contremarches, et qui le voyait avec peine, en dépit de ses concessions, forcé de gouverner l’Irlande comme ses prédécesseurs à coups de lois d’exception, avait perdu beaucoup de son enthousiasme des premiers temps. D’autre part, les déconvenues successives de la politique extérieure harassaient le ministère et lui enlevaient toute liberté d’esprit, tout en train pour la législation intérieure. Des dissensions, à peine contenues par l’influence de M. Gladstone, commençaient à diviser ses membres. La chambre elle-même, désappointée, morose, manifestait son humeur aigre par des motions de censure répétées. Il y en eut deux en 1884 sur les affaires d’Egypte. A la première, la majorité du gouvernement n’était déjà plus que de 43 voix ; elle tombait à 28 voix à la seconde. Les parnellistes, que la politique libérale aurait dû au moins gagner, s’amusaient, on ne saurait appliquer à cette tactique un autre mot, à voter contre le ministère, tout en dosant les proportions de leur vote hostile de façon à affaiblir le gouvernement sans provoquer sa chute.

Pour galvaniser ce parlement vieilli et fatigué, M. Gladstone avait lancé, en 1884, son bill pour l’extension de la franchise électorale. La loi fut votée à la fin de l’année par suite d’un compromis avec la chambre des lords, à la suite duquel les chefs des deux partis s’étaient réunis pour fixer en commun les grandes lignes du projet de refonte des circonscriptions électorales. Les libéraux reprenaient courage, s’étant assuré (ils le croyaient du moins) une belle majorité dans le prochain parlement.

Mais avec l’année 1885 survinrent les graves événemens du Soudan, la chute de Khartoum et la mort de Gordon. L’expédition était arrivée à son terme fatal. C’est alors que fut votée une dernière motion de censure sur les affaires égyptiennes, où le cabinet n’eut