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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

Il n’est pas étonnant que le duc des Francs et lui ne se soient pas accordés du premier coup. Ces deux hommes ne se ressemblent guère. Depuis qu’il a l’âge d’homme, Charles Martel est en campagne. Chef des Austrasiens, c’est-à-dire d’un nouveau ban de Francs qui se substitue à l’ancien définitivement épuisé, il recommence l’invasion. Son histoire est celle d’un barbare, d’un grand barbare. Les chroniqueurs qui la racontent sont de misérables écrivains, qu’une phrase met à bout de souffle, mais les mentions qu’ils font de ses combats et de ses victoires semblent des fragmens d’une épopée. À chaque printemps, une guerre : guerre en Saxe « avec des tueries, des pillages et des incendies ; » guerre en Frise et conquête d’une partie du pays ; nouvelle guerre en Saxe ; nouvelle expédition « contre le pays de l’aquilon ; » guerre en Bavière, où Charles conduit « la multitude serrée des bataillons, » et d’où il rapporte des trésors et des femmes ; nouvelle guerre en Bavière ; guerre dans le pays d’Alemannie, qui est réduit à une étroite dépendance ; guerre au-delà de la Loire contre le duc d’Aquitaine, qui s’est allié aux Arabes ; guerre pour défendre le même duc contre les Arabes, et bataille de Poitiers, « où la gent d’Austrasie, puissante par la force des membres, et, la main armée de fer, frappe rudement la poitrine des ennemis ; » guerre en Bourgogne, où Charles établit une colonie de ses soldats ; guerre en Frise a jusqu’à l’extermination, » et d’où il revient « chargé de dépouilles et de proies ; » guerre en Aquitaine, qui est, en partie, subjuguée ; guerre en Bourgogne et en Provence contre les grands et les Arabes venus à leur secours ; guerre en Saxe, et toujours ce refrain du retour avec les chariots chargés de dépouilles ; à la fin, Charles, « après avoir acquis tous ces royaumes, rentre vainqueur, personne n’étant plus capable de se rebeller contre lui. » Charles est donc un des grands acteurs du drame cinq fois séculaire de l’invasion. Que veut-il faire ? La guerre et des conquêtes. Son gouvernement est simple : il délibère avec les chefs de son armée et c’est tout le gouvernement central ; dans les comtés et les évêchés, il met des hommes à lui, des fidèles, et c’est tout le gouvernement provincial. Il n’est pas roi et n’en a cure ; il a interrompu la dynastie mérovingienne, puisqu’il a dédaigné à la fin de sa vie de faire des fantômes de roi ; pourtant il n’est pas roi : le pape, ne sachant quel titre lui donner, l’appelle sous-roi, prince, duc. Il n’a pas du tout l’âme sacerdotale. » Il a vaincu les infidèles à Poitiers, mais le martel n’aurait pas frappé moins vigoureusement sur la tête d’envahisseurs qui eussent été bons catholiques. L’aide qu’il a donnée à Boniface, légat apostolique en Germanie, se réduit à peu de chose, et le mis-