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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

qu’ils voulaient dire. Ils sentaient que quelque nouveauté allait se produire, mais ne la voyaient pas ; ils cherchaient leur route à tâtons dans l’obscurité ; leur langue était obscure comme les choses.


VI

Une chose était claire du moins : le pape était désormais capable de résister à l’empereur et, comme il n’arrive guère que l’on n’use point d’une puissance acquise, il en usa avec un grand éclat. L’occasion fut petite : il ne s’agissait point de défendre la foi, et l’empereur Léon l’Isaurien, contre lequel fut dirigée la révolte, n’avait remis en discussion ni la divinité ni la nature du Christ. Homme d’état, législateur, capitaine et administrateur de premier ordre, esprit éclairé, il avait écouté les avis de chrétiens et de catholiques sincères, qu’offensaient les superstitions du culte des images. Il estimait qu’on faisait acte d’idolâtrie en prenant des simulacres pour parrains ou marraines, en les touchant pour leur demander des miracles, en usant sous les baisers les pieds des saints et des saintes, en grattant les couleurs des statues pour les mêler à des breuvages, en mettant l’hostie dans la main du Christ pour la recevoir de lui. L’empereur savait d’ailleurs que cette adoration d’objets inanimés répugnait aux Juifs, qui étaient nombreux dans l’empire, et aux Arabes ; elle était un des plus grands obstacles à des conversions que l’on pouvait espérer. Peut-être la politique lui inspira-t-elle autant que la raison les décrets qu’il publia en 726 et en 728. Par le premier, il s’était contenté d’ordonner que les images fussent assez haut placées pour n’être point touchées ; mais aussitôt éclata une opposition violente, qui faillit le précipiter du trône. Le vieil esprit païen des pays italiens et helléniques protesta contre ce déplacement des idoles. Les femmes s’insurgeaient jusque dans le palais de l’empereur ; dans leurs ateliers, où ils sculptaient et peignaient les saintes images, les moines, dont l’industrie était menacée, criaient au scandale et à la profanation. Le patriarche, un nonagénaire, protestait obstinément, plus acharné à la lutte que n’avaient été ses prédécesseurs dans les grandes querelles théologiques. À l’armée même, un parti se forma qui proclama empereur un certain Cosmas, et une flotte de révoltés parut devant Constantinople au moment même où les Arabes menaçaient Nicée. Léon tint tête à tous ces insurgés ; Cosmas fut vaincu, pris, mis à mort, et un nouveau décret, solennellement délibéré en conseil d’empire, ordonna que les images fussent enlevées ou barbouillées. Il y eut alors un désordre inouï ; à la résistance répondit la persécution ; iconodules