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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

bretonne succéda une ordonnance rigoureuse. Pour instruire le clergé, des écoles furent fondées. On y enseigna le trivium, c’est-à-dire la grammaire, la rhétorique et la dialectique, et le quadrivium, c’est-à-dire l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique : l’enseignement était si bien donné que les écoliers apprirent à parler le grec et le latin comme leur langue maternelle. On y pratiqua l’art de l’écriture ; de beaux manuscrits y furent copiés en lettres d’or sur parchemin de couleur. Les Bretons étaient égalés ; ailleurs ils étaient dépassés, car les évêques anglo-saxons bâtirent, au lieu de modestes chapelles, des églises superbes, comme celle de Hexhorn dont les tours étaient si hautes, les colonnes si nombreuses, les peintures si brillantes, qu’il n’y en avait point d’aussi belle au monde, disait-on, excepté en Italie. Comme leurs ancêtres, ces nouveaux Romains bâtissaient pour l’éternité.

La culture romaine fit lever sur ce sol vierge des moissons inattendues. Les Anglo-Saxons étudiaient Tite Live et Virgile autant que la Bible et l’évangile. Autant que les subtilités du commentaire des textes sacrés, vils aimaient les jeux de la métrique. À voir leurs petits tours de force d’écoliers, les versiculi où ils se proposaient des énigmes, les billets précieux qu’échangeaient évêques, abbés et religieuses, on les prendrait pour des élèves de rhéteurs de la décadence, mais quelques esprits furent éclairés jusqu’au fond par la lumière antique. Tel fut Bède, le vénérable Bède, qui, après avoir étudié jusqu’à trente ans, composa une encyclopédie des connaissances, théologie, géographie, chronologie, métrique, rhétorique ; poète médiocre, mais prosateur de talent ; historien surtout et capable, comme il l’a montré dans son Histoire ecclésiastique des Anglais, de recueillir et de peser des témoignages, de grouper des faits, de comprendre et de faire comprendre la suite des événemens, de s’élever au-dessus des choses pour les juger. Ces disciples de l’antiquité goûtent les plaisirs intellectuels ; ils en savent le prix, et, bien que les grâces de quelques-uns d’entre eux soient vieillotes, il y a de la jeunesse dans la vivacité de cette joie qu’ils éprouvent à parler la langue antique. Aussi sont-ils pénétrés de reconnaissance envers la ville qui leur a donné ces bienfaits. La lutte contre les Bretons ennemis de Rome, et l’admiration des grands écrivains classiques ont engendré en Angleterre un sentiment singulier qu’on ne peut nommer autrement qu’un patriotisme romain. Tous les yeux sont tournés vers la capitale du monde. Chaque année, de nombreux pèlerins anglo-saxons se mettent en route, religieux et religieuses, prêtres, évêques et nobles. Arrivés en vue de la ville sainte ; ils s’arrêtent pour contempler et s’agenouiller. Leur première visite est pour le tombeau de saint Pierre. Les évêques