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vis par le mépris que les Anglo-Saxons professaient pour les Bretons, par la grandeur du nom de Rome et par une politique mieux conduite auprès des rois. Un de ces rois, Oswin de Northumbrie, leur ménagea, en l’an 656, un grand triomphe. Il convoqua une assemblée où siégèrent les principaux personnages ecclésiastiques et laïques des sept royaumes. L’objet propre de la discussion était de décider si la fête de Pâques devait être célébrée le jour même de la pleine lune du printemps ou le dimanche suivant, et si la semaine de Pâques commençait la veille au soir du jour de la pleine lune ou le soir de ce jour. De part et d’autre, on se recommandait des plus hautes autorités. L’orateur catholique vint à citer la parole célèbre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église. » Le roi, se tournant aussitôt vers l’évêque breton Colman, demanda : « Est-ce vrai, Colman, que ces paroles ont été dites à Pierre par le Seigneur ? — C’est vrai, roi, répondit Colman. — Voyons, reprit le roi, êtes-vous d’accord pour reconnaître que ces paroles ont été dites à Pierre, et que les clés du royaume des cieux lui ont été remises par le Seigneur ? » Ils répondirent : « Oui. » Alors le roi conclut ainsi : « Et moi je vous dis que je ne veux pas me mettre en opposition avec celui qui est le portier du ciel. Je veux, au contraire, obéir en toutes choses à ce qui a été par lui établi, de peur que, lorsque je me présenterai aux portes du royaume des cieux, celui qui en tient les clés ne me tourne le dos et qu’il n’y ait personne pour m’ouvrir. » À cela, il n’y avait rien à répondre, et l’assemblée prononça en faveur des catholiques.

Depuis, l’église bretonne ne fit plus que décliner, et Rome, poursuivant ses succès, organisa la conquête. Il fallait enlever à l’ennemi sa dernière arme, qui était la science, toujours honorée dans les monastères bretons. Le pape envoya en Angleterre, pour y occuper le siège archiépiscopal de Cantorbéry, un savant et habile homme, Théodore, accompagné d’un abbé du nom d’Hadrien. Le premier était né à Tarse, en Cilicie ; le second arrivait du monastère de Nisida, en Thessalie. En quelques années, ils accomplirent une œuvre considérable. Ils détruisirent dans les sept royaumes les derniers restes du paganisme. Ils instituèrent de nouveaux évêchés, organisèrent les deux provinces ecclésiastiques d’York et de Cantorbéry, établirent l’autorité du métropolitain et marquèrent le rang des évêques dans chacune d’elles. Des conciles furent régulièrement tenus. Dans son diocèse bien délimité, l’évêque fut le chef de son clergé : nul ne pouvait faire fonction sacerdotale qui n’eût été autorisé par lui. Aucun prêtre ne pouvait quitter sa paroisse, aucun moine son monastère. Chacun reçut sa place et connut exactement les devoirs de son office. Au libre laisser-aller de l’église