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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

rivèrent dans la salle où il les attendait, l’archevêque ne se leva point : ils reprochèrent à cet étranger son orgueil et refusèrent de le saluer comme leur chef. Augustin les conviait à unir leurs efforts aux siens pour la conversion des Anglo-Saxons : les Bretons, en effet, avaient négligé jusque-là de prêcher ces barbares, peut-être par haine contre eux et pour ne leur point ménager l’entrée dans le royaume de Dieu ; après l’arrivée des Romains, ils entreprirent à leur tour des missions, mais pour disputer le terrain à leurs rivaux et dresser autel contre autel. La haine devint si violente, que Bretons et Romains se fuyaient comme des pestiférés. Les premiers défendaient obstinément leurs anciens usages, parmi lesquels deux surtout semblaient odieux au seconds ; ils célébraient la pâque à une autre date que l’église romaine et, au lieu de dessiner la tonsure sur le haut de la tête en forme de couronne, ils rasaient leurs cheveux au-dessus du front, d’une oreille à l’autre. Les catholiques, — c’est ainsi que se nommaient les Anglo-Saxons, — déclaraient que ces coutumes étaient « une perdition pour les âmes. » Le sujet de ces querelles nous parait misérable, mais au-dessus s’agitait la grande question de savoir si la vieille église celtique accepterait la suprématie de saint Pierre. Le nom de l’apôtre revient à tout moment dans les polémiques : « S’il est vrai, dit un catholique anglo-saxon, que Pierre, le porte-clés du ciel, a reçu, par un privilège particulier, le pouvoir de lier et de délier dans le ciel et sur la terre, comment celui qui rejette la règle du cycle pascal et de la tonsure romaine, ne comprend-il pas qu’il mérite d’être lié par des nœuds inextricables plutôt que délié par la clémence ? » La tonsure romaine, ajoute le même écrivain, avait été portée par saint Pierre lui-même pour garder le souvenir de la couronne d’épines du Sauveur, au lieu que la coiffure des Bretons était celle de Simon, l’inventeur de l’art magique, qui avait employé contre le bienheureux Pierre les fraudes de la nécromancie. Les Bretons ne s’émouvaient point de ces anathèmes ; ils refusaient aux catholiques le salut et le baiser de paix ; jamais ils ne mangeaient avec eux ; s’ils s’asseyaient à une table que leurs ennemis venaient de quitter, ils commençaient par jeter aux porcs les restes du repas, et ils purifiaient avec le feu les vases et les ustensiles. À tout Romain qui voulait entrer en communication avec eux, ils imposaient une quarantaine de pénitence.

Très longtemps dura la lutte entre les deux partis. Les Bretons semblèrent d’abord l’emporter ; au milieu du VIIe siècle, la majeure partie des sept royaumes avait été convertie par leurs missionnaires. Cependant ils succombèrent. Les catholiques furent ser-