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En l’art 596, quarante moines, conduits par Augustin, abbé d’un monastère romain, débarquèrent en chantant des psaumes, sur la côte du royaume de Kent. Un an s’était à peine écoulé que le roi recevait le baptême. Son exemple fut suivi, comme jadis celui de Clovis, par quelques milliers de Germains. Grégoire surveillait avec soin les progrès de la mission. Il envoyait des présens, des reliques et d’admirables instructions où il recommandait à ses envoyés d’agir avec douceur, de ne brusquer ni les gens ni les habitudes, de respecter les fêtes accoutumées des païens et même les temples des dieux, en les purifiant. « On ne monte point par bonds, disait-il, au sommet d’une montagne, mais peu à peu, pas à pas. » Quand l’œuvre lui parut assez avancée, il institua Augustin archevêque de Cantorbéry, avec pouvoir de consacrer douze évêques qui seraient les suffragans de son siège métropolitain ; York devait être la capitale d’une autre province ecclésiastique. Ainsi commença la conquête de l’Angleterre par l’église romaine. Mais elle ne fut pas achevée de sitôt et la lointaine colonie demeura exposée à de grands dangers. Le paganisme se défendit pendant près d’un siècle dans les royaumes anglo-saxons, et il eut à plusieurs reprises des revanches sanglantes. Au même temps, une lutte s’engageait entre la vieille église bretonne et la nouvelle église, lutte singulière et dont l’objet était de grande importance : on peut dire que tout l’avenir de la papauté en dépendait.

Entre ces deux églises, il n’y avait point de dissidence dogmatique, mais les chrétiens bretons, séparés du monde catholique par les Anglo-Saxons, n’étaient pas au courant des progrès de l’église romaine, ni de certaines modifications qui s’étaient introduites dans le culte et dans la discipline. Leurs prêtres vivaient simplement, sans règles pour le costume, portant tantôt le vêtement laïque, tantôt une robe blanche et la crosse. Leurs maisons étaient pauvres. Les dons qu’ils recevaient étaient dépensés en aumônes ; pour églises, ils avaient des chaumières ; ils prêchaient et bénissaient en plein air. Ils connaissaient l’écriture mieux que la tradition canonique ; l’épiscopat était chez eux une dignité pastorale, non point un office ; leurs évêques, qui étaient en même temps abbés de grands monastères, n’avaient pas l’idée de cette hiérarchie savante qui, de degré en degré, aboutissait au pape. C’était là, aux yeux des missionnaires romains, une étrangeté odieuse comme l’hérésie. Aussi, les deux églises, lorsqu’elles se rencontrèrent en Bretagne, loin de se reconnaître pour sœurs, se traitèrent en ennemies. Augustin, investi par Grégoire le Grand de la primauté sur l’église bretonne comme sur l’église saxonne, le voulut prendre de haut avec ces irréguliers. Un jour, des évêques bretons se rendirent à une conférence où il les avait appelés ; quand ils ar-