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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

absorbé sa personne dans celle de l’apôtre ; il est le représentant visible et passager de l’invisible et perpétuel évêque saint Pierre.

Rome n’était pas le seul siège apostolique. Antioche se glorifiait d’avoir eu saint Pierre pour premier évêque, et l’église d’Alexandrie avait été fondée par saint Marc. Les papes se gardent bien de méconnaître la dignité de ces grandes églises orientales. Ils leur témoignent une grande déférence. Avec une habileté de politiques et de diplomates, ils savent tout à la fois les intéresser à leurs griefs contre leur rival byzantin, et leur rappeler doucement la primauté du siège romain. « Il faut, écrit Léon à l’évêque d’Alexandrie, que nous soyons d’accord dans nos sentimens et dans nos actes. Puisque le bienheureux Pierre a reçu de Dieu le principat et que l’église de Rome garde fidèlement ce qu’il a établi, comment serait-il permis de croire que son saint disciple Marc, premier évêque d’Alexandrie, y ait formé une autre tradition et décrété d’autres règles ? Assurément un même esprit, coulant de la même source, anime le maître et le disciple, et celui-ci ne peut transmettre que ce qu’il a reçu de celui-là. » Du même coup, l’évêque d’Alexandrie, successeur de Marc, est placé tout près de l’évêque de Rome, successeur de Pierre, mais averti qu’il tient le lieu de disciple, tandis que le pape a succédé au maître. « Il faut, mon très cher fils, dit le même pape Léon à l’évêque d’Antioche, que la dilection considère attentivement la grandeur de l’église au gouvernail de laquelle tu es assis par la volonté de Dieu. Souviens-toi de la doctrine que Pierre a fondée par la prédication dans le monde entier, mais en particulier à Antioche et à Rome, où il a été investi d’un office spécial. » Ainsi les églises d’Antioche et de Rome, fondées toutes les deux par le prince des apôtres, sont sœurs ; mais si Pierre a commencé par Antioche, il a fini par Rome, où il a trouvé le martyre, et le pape a soin d’ajouter que l’apôtre « domine dans ce lieu de sa glorification. » Du même coup, l’évêque d’Antioche est placé très haut, comme l’évêque d’Alexandrie, mais, comme celui-ci, au-dessous du très cher frère de Rome.

Cent ans après Léon, Grégoire le Grand procédera de même façon, avec autant d’habileté, avec plus de modestie encore. S’il proteste contre le titre d’évêque universel que s’arroge l’évêque de Constantinople, il se garde bien de le revendiquer pour lui. Il défend qu’on le lui donne. « Arrière, s’écrie-t-il, ces mots qui, enflant la vanité, blessent l’amour fraternel. » Il gronde l’évêque d’Alexandrie qui a cru lui être agréable en lui adressant « cette appellation superbe, » et, dans une lettre à l’évêque d’Antioche, il traite, comme faisait Léon, la délicate question de la hiérarchie entre les églises