Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
854
REVUE DES DEUX MONDES.

de la divinité du Christ. Où les autres hésitaient, il a parlé ; il a proclamé le grand mystère, et mérité par là d’être institué le chef perpétuel de l’église. Pour comprendre l’extraordinaire puissance de ce passage de l’écriture, il faut se représenter l’autorité qu’avaient sur la raison des hommes de ce temps les paroles d’évangile. Personne n’en contestait l’authenticité. Elles n’étaient pas seulement la foi et la vérité : elles étaient, dans la ruine et l’oubli de la sagesse antique, toute la science et toute la philosophie. On disputait sur leur sens, et ces querelles pouvaient mettre le monde en feu. Evêques, docteurs, princes, peuples vivent dans la lettre, sinon dans l’esprit de l’écriture : ils alimentent leur esprit avec des mots et des paraboles. De tel mot, comme d’un axiome, ils déduisent des conséquences qui, appliquées à la vie réelle, y produisent les effets les plus considérables. Ainsi, des paroles de saint Pierre au Christ et du Christ à saint Pierre, Léon le Grand conclut tout naturellement que « celui qui ne prend pas la confession de Pierre se sépare du fondement de l’église. » Ce n’est rien moins que l’infaillibilité de l’évêque de Rome ; car, en vertu d’une fiction qui acquiert force de réalité, saint Pierre est réputé présent à perpétuité sur son siège. Des évêques parlent au pape comme à l’apôtre lui-même, et un évêque du Ve siècle, Ennodius, n’hésite pas à dire que l’impeccabilité du plus grand des disciples de Jésus a été transmise à ses vicaires. Comment le pape n’aurait-il pas le sentiment que sa dignité n’a pas d’égale dans le monde ? Aussi Léon, invité par l’empereur à un concile, s’excuse de ne pas s’y rendre en personne : « Cela, dit-il, ne m’est permis par aucun précédent ; » il estime que sa grandeur l’attache aux rives du Tibre ; mais, en même temps, il écrit aux pères du concile que le siège apostolique sera représenté par deux évêques et deux prêtres : « Je serai présent parmi vous dans la personne de mes vicaires. Votre fraternité pensera que je suis là et que je préside. Au reste, je n’ai pas failli à la prédication de la foi catholique. Vous ne pouvez ignorer ce que je crois, moi qui suis fidèle à la tradition antique, ni douter de ce que je désire. Donc, mes très chers frères, rejetez loin de vous cette audace de disputer contre la foi ; ne permettez pas que l’on défende des opinions qu’il n’est pas permis d’avoir, puisque, m’appuyant sur l’autorité de l’évangile, sur les déclarations des prophètes et sur la doctrine apostolique, j’ai déclaré, en toute plénitude et en toute clarté, la vraie doctrine. » Voilà comment dans quelques lignes de l’évangile, Léon trouve un droit positif de l’évêque de Rome à présider les conciles, dont il devance les jugemens en sa qualité de dépositaire de la vérité doctrinale. L’église se soumet à la volonté d’un homme si sûr de lui-même ; mais le pape pouvait élever de si hautes prétentions sans tomber dans le péché d’orgueil, car il a, pour ainsi dire,