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sa capitale une dignité particulière. Aussi l’ambition des patriarches de Constantinople se manifesta-t-elle de très bonne heure. Dès le IVe siècle, au second concile œcuménique qui fut tenu en 381, il fut établi « qu’après l’évêque de Rome la primauté d’honneur appartiendrait à l’évêque de Constantinople, qui est la seconde Rome. » Soixante-dix ans après, le concile de Chalcédoine mettait les deux évêques sur le même rang. À la fin du VIe siècle, le patriarche Jean le Jeûneur prenait le titre d’évêque universel. L’usurpation aurait été consommée si Rome ne s’était vaillamment défendue.

Le pape dut une partie de sa fortune à la Rome de Romulus, de César, d’Auguste, de Virgile et des grands législateurs. Supposez que l’église, méprisant tout le passé, ait voulu ne dater que d’elle-même : le centre du monde chrétien aurait été là où les prophètes ont annoncé le Messie et où le Messie est mort sur la croix. La chose était si naturelle que le siège de la ville sainte fut longtemps considéré, même en Occident, comme le plus sacré de tous : l’évêque gallo-romain Avitus, écrivant au « pape de Jérusalem, » lui dit en propres termes « qu’en vertu d’une primauté concédée par Dieu, il occupe la première place dans l’église. » C’eût été une nouveauté extraordinaire, une belle victoire de l’esprit sur la force, si Jérusalem, cette ville longtemps ignorée de Rome, puis combattue par elle, vaincue, détruite, dont les habitans avaient été dispersés et jusqu’au nom aboli, avait prévalu sur la reine de l’ancien monde ; mais un évêque de Jérusalem aurait été aussi impuissant à régir la chrétienté qu’un calife de La Mecque à gouverner l’empire de l’islam. Le christianisme n’aurait pas conquis le monde, s’il ne s’était rendu maître de Rome, et la tradition qui veut que saint Pierre y soit venu pour mourir après avoir établi la papauté, est un premier hommage inconscient de l’église à l’empire. En échange, la ville impériale sut communiquer à ses évêques la vertu de commandement qui était en elle. On pourrait montrer par des preuves précises que les papes des IVe et Ve siècles ont profité d’une certaine assimilation qui s’est faite entre l’autorité de l’empereur et la leur, et citer telle lettre pontificale dont les termes sont empruntés à la législation impériale ; mais les textes ne disent pas tout sur cette question, pas plus que sur aucune grande question historique. Depuis des siècles, les hommes étaient habitués à chercher aux bords du Tibre le maître du monde, et lorsque les chrétiens distinguèrent entre Dieu et César, entre la cité humaine, qui était l’empire, et la cité divine, qui était l’église, ils reconnurent sans difficulté pour la capitale de l’église la capitale de l’empire. Une alliance mystique fut conclue entre la Rome ancienne et la nouvelle, comme entre l’ancienne et la nouvelle Jérusalem. Les chrétiens détestaient