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le tourbillon de notre côté. Ils arment en lignes compactes, profondes. C’est la revanche de 1812. Ils ne brûleront point Paris, nous n’avons pas besoin qu’on nous aide pour cette besogne. Ils le noieront sous l’encre d’imprimerie. Tout l’été, ils ont pullulé subrepticement ; il en est sorti de toutes les presses. Je reviens de Russie, et je la retrouve sur ma table, l’encombrante amie, détaillée en in-18 tout bourrés de sa « moelle substantifique. » Je cherche un volume de Voltaire, il a disparu sous une pile de Tolstoï ; mon Racine, il est effondré sous les Dostoïevsky. Que faire ? Il faut tâcher de s’orienter dans ce désordre. L’année s’en va, ou plutôt s’en retourne là où l’on remet à neuf les vieilles années ; car ce sont toujours les mêmes qui resservent, si j’en juge par les redites de l’histoire. C’est l’heure des bilans ; faisons celui de ce nouveau bureau de change, où l’on travaille avec tant de zèle, un peu trop peut-être, à la traduction des livres russes. Je voudrais vérifier le titre des pièces qu’on refrappe à notre usage et dire ensuite une petite inquiétude qui m’est venue.


I

Tolstoï garde toujours le premier rang dans la faveur publique. C’est justice. On trouve chez d’autres plus de passion, plus d’exotisme et de surprises ; il a pour lui plus de large humanité, et, ce qui ne passera jamais, la vérité dite simplement. A quelques bribes près, toute l’œuvre du romancier est aujourd’hui traduite ; on aborde celle du réformateur religieux et social. Les volumes qu’on vient de nous donner contiennent des emprunts faits à l’une et à l’autre ; il en résulte un peu de confusion pour le lecteur qui voudrait suivre la curieuse spirale décrite par la pensée de Tolstoï ; quelques dates, quelques mots d’avertissement n’eussent pas été inutiles pour classer ces ouvrages à leur plan respectif. Parmi ceux de la première époque, il faut citer tout d’abord les Cosaques et les Tableaux du siège de Sébastopol ; je n’ai pas à y revenir ici ; puis l’autobiographie à peine déguisée : Enfance, Adolescence, Jeunesse, Je reçois, à deux jours d’intervalle, deux traductions de ce livre sous des titres différens : Mes Mémoires, — Souvenirs. De même pour la Mort d’Ioan Ilytch dont je parlerai plus loin ; écrit par l’auteur au mois de mars de cette année, ce récit est déjà traduit en double à Paris. Juste ciel ! c’est une course. Pour ce qui est des Souvenirs, je voudrais tenir la balance égale entre la version de M. Halpérine et celle d’Arvède Barine ; on m’objectera qu’alors il