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répandue dans tout l’empire, — ne serait-ce que pour les renseignemens utiles qu’elle en peut tirer, — mais quelques-uns, et c’est le seul argument d’apparence sérieuse qui ait jamais été formulé contre le protectorat religieux, prétendent que ces avantages ne sont pas la juste compensation des froissemens qui en résultent. D’après eux, le ministre de France, dégagé d’autres préoccupations du côté des missionnaires, pourrait s’employer exclusivement aux questions politiques ou commerciales, et son influence, ne se gaspillant pas, serait réservée tout entière pour la défense de nos intérêts tangibles et matériels. Cela me parait un faux raisonnement. L’influence n’est pas une force qui s’use par l’emploi que l’on en fait : elle a besoin, au contraire, de s’exercer pour s’accroître et même pour se conserver du agent diplomatique ne l’acquiert qu’au prix d’une action constamment renouvelée. S’il n’a souvent l’occasion de faire apprécier son intelligence et sa fermeté, fût-il le représentant d’une puissance considérable, on ne s’habituera pas à compter avec lui, et il n’acquerra ni l’autorité personnelle ni l’expérience, qui lui seront utiles le jour où une difficulté sérieuse se produira. À ce point de vue, les affaires religieuses, loin d’avoir nui à la France, me semblent au contraire l’avoir servie. Trois puissances européennes ont pris le premier rang en Chine, dès l’ouverture des rapports diplomatiques : l’Angleterre, la Russie et la France. La première le doit à son commerce : ses nationaux peuplent les ports, ses navires couvrent les mers. La seconde le doit à la contiguïté territoriale : les Russes qui, depuis Vladivostok jusqu’à l’Ili, confinent aux possessions chinoises, semblent devoir jouer dans l’histoire de l’Asie le rôle des anciens Tartares, ces voisins toujours menaçans contre lesquels a été bâtie l’immense défense de la grande muraille. Jusqu’aux événemens du Tonkin, la France n’a dû son importance qu’aux missionnaires. Nous avons en Chine un commerce très important, mais il est, pour la majeure partie, aux mains d’intermédiaires étrangers, et notre marine, sauf les Messageries maritimes, ne se montre presque pas dans les ports. Si, pendant la période de 1860 à 1880, nous n’avions pas eu l’exercice du protectorat religieux, les souvenirs de la guerre de 1860 s’effaçant peu à peu, la France serait tombée dans l’esprit des Chinois au rang de puissance de second ordre. Ce protectorat nous place dans une situation à part. Au lieu que les autres puissances ne protègent que leurs nationaux, la France protège aussi des étrangers qui viennent spontanément solliciter son appui. Elle protège aussi des sujets de l’empereur de Chine. Sept cents missionnaires répandus dans les dix-huit provinces, dans la Mandchourie, la Tartarie, le Turkestan chinois, sont nos cliens, et de ces missionnaires relèvent un nombre toujours croissant de