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ait eu quelque arrière-pensée à notre égard. — D’où vient donc que, tout récemment, le protectorat religieux de la France en Chine ait paru menacé ? que des négociations longues et épineuses aient été suivies à ce sujet avec le Vatican ? que cette question ait, pendant quelques mois, si vivement préoccupé l’opinion publique en France et hors de France ?

Bien des assertions fausses ont circulé à ce sujet de par le monde. On a paru croire qu’il dépendait du saint-siège de nous déposséder purement et simplement du protectorat religieux pour le donner à une autre puissance. Les journaux anglais ont souvent tenu ce langage, et, à les entendre, on aurait pu penser que l’Angleterre allait prendre notre place. Les explications qui précèdent montrent qu’une pareille substitution ne saurait s’opérer si facilement. Et d’abord en admettant que le saint-siège pût et voulût nous supplanter, à quelle puissance étrangère ferait-il appel ? A l’Angleterre ? L’Angleterre est une puissance protestante qui n’a pas de relations régulières avec le Vatican. Le saint-père pourrait peut-être, dans une circonstance difficile, recourir à ses bons offices ; mais confier à un gouvernement hérétique le soin de protéger la catholicité serait une humiliation à laquelle il ne se résoudrait jamais. A l’Allemagne ? Même objection. A l’Italie ? Dans l’état actuel des rapports entre le Quirinal et le Vatican, c’est impossible. A l’Espagne ? à l’Autriche ? Elles n’ont aucune influence en Chine. Au Portugal ? La papauté a été trop heureuse de secouer son patronage pour qu’elle soit tentée de le rétablir sous une autre forme. A la Russie ? Elle est schismatique. Aux États-Unis d’Amérique ? Ils n’ont pas de traditions diplomatiques suivies.

Tous les gouvernemens connaissent cette situation. Ils savent, en outre, que, dans aucun cas, la France ne permettrait aux religieux français, qui forment l’immense majorité des missionnaires, de passer sous l’égide d’une autre puissance. Ce n’est donc pas pour eux-mêmes, ce n’est pas pour recueillir notre succession que quelques-unes des grandes puissances ont intrigué contre notre protectorat à Pékin et à Rome. Les Chinois ont naturellement écouté avec empressement les insinuations de nos rivaux. On leur a dit que le christianisme n’était pas en faveur en France : ils en ont conclu que nous serions prêts à l’abandonner au dehors. Ils savaient que les chrétiens possèdent un chef suprême, entouré d’honneurs plus que royaux et dont les envoyés occupent le premier rang parmi les représentans des puissances de l’Europe. Ils savaient aussi que ce chef si honoré ne possède ni canons, ni vaisseaux, ni soldats, ce qui leur a paru une excellente condition pour négocier avec lui. Ils ont été conduits à entrer en rapports directs avec le saint-père par