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Le traité de 1844 est l’origine du protectorat religieux de la France en Chine. Auparavant, les missions étaient, comme on l’a vu, sous le patronage du Portugal, c’est-à-dire que sa majesté très fidèle, en vertu de bulles pontificales dont la plus ancienne remonte au pape Nicolas V et à l’année 1454, avait le droit de nommer les évêques, et, sauf de fréquentes exceptions, le privilège de répartir les missionnaires dans tout ce qu’on appelait les Indes orientales, terme vague dont le sens s’étendait au fur et à mesure des nouvelles découvertes des navigateurs. Ce privilège n’avait sa raison d’être qu’à l’époque où la navigation, dans l’extrême Orient, était en quelque sorte un monopole aux mains des Portugais. Au XVIe siècle, ceux-ci étaient seuls investis du droit de prêcher l’évangile dans ces vastes régions. Quand le nombre des missionnaires portugais était insuffisant, on voulait bien admettre des étrangers, mais ils devaient, avant de partir, se rendre à Lisbonne pour y faire acte d’obédience. Un pareil régime engendra bien des abus, et, dès le XVIIe siècle, le saint-siège commença à le battre en brèche. C’est seulement de nos jours que sont tombés les derniers débris de cet exorbitant privilège, souvenir d’une grandeur passée, pour le maintien duquel la cour de Lisbonne a lutté avec une extrême énergie. L’archevêque de Goa, primat des Indes orientales, avait dans sa mouvance les deux sièges épiscopaux de Nankin et de Pékin, où d’ailleurs les titulaires ne résidaient plus depuis longtemps quand la France entama des négociations avec la Chine. Vers 1845, à la mort de l’évêque portugais de Pékin, le saint-siège voulut confier à un missionnaire de la même nationalité les fonctions de délégué apostolique dans la capitale de la Chine. Ce prêtre, fidèle sujet du roi de Portugal, refusa, alléguant qu’il ne pouvait accepter aucune dignité en Chine que de son roi. Alors fut désigné M. Mouly, prêtre français, de l’ordre des lazaristes. Le patronage portugais, dans l’empire du Milieu, tomba de lui-même. Sa principale raison d’être avait été la possession de Macao, qui, donnant au Portugal un pied en terre chinoise, semblait le désigner tout naturellement pour y recevoir et y protéger les missionnaires. Mais ce motif a cessé d’exister du jour où d’autres puissances ont signé des traités d’amitié avec la Chine, tandis que le Portugal, précisément à cause de sa colonie de Macao, que le gouvernement impérial refuse absolument de reconnaître, s’est trouvé jusqu’ici dans l’impossibilité de conclure un traité analogue.

Le plénipotentiaire chinois qui a signé avec M. de Lagrenée le traité de Whampoa, Ki-yng, était un homme d’esprit élevé et bienveillant. Quelques jours après la signature du traité, il écrivait au ministre de France : « La religion du Seigneur du ciel (c’est-à-dire le catholicisme), qui est celle que votre noble empire