Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excommunications prononcées par son prédécesseur. A. Canton, le légat fut reçu avec honneur, et il partit pour Pékin accompagné d’un mandarin dépêché au-devant de lui ; mais, à quelques lieues de la capitale, il fut invité à s’arrêter et à faire connaître le but de sa mission. Il écrivit alors à l’empereur qu’envoyé pour assurer l’exécution de la bulle Ex illa die, il désirait être reconnu comme supérieur général des missions. Kang-hi répondit qu’il acquiesçait volontiers à cette demande, mais à la condition que M. Mezzabarba laissât en Chine les religieux attachés à la cour et emmenât tous les autres missionnaires à Rome, où il serait maître de leur signifier la bulle et d’exercer librement ses fonctions de supérieur. Cette réponse ironique était accompagnée du refus de donner audience à l’envoyé du pape, qui était toujours gardé à vue aux environs de la ville. Devant cette attitude, le légat fit entendre, ainsi que ses instructions l’y autorisaient, que certains tempéramens pourraient être apportés, dans la pratique, aux rigoureuses interdictions de la bulle. À cette nouvelle, l’empereur s’adoucit un peu, admit le légat à faire devant lui, dans une audience solennelle, les trois agenouillemens et les neuf prosternemens classiques, lui fit servir un dîner somptueux, plaisanta quelque peu la prétention du pape de juger les rites chinois, qu’il ne connaissait pas, et renvoya les discussions sérieuses à des entretiens ultérieurs. Dans ces entretiens, où il se montrait plein d’affabilité, le Fils du Ciel discourait longuement sur toutes les questions et charmait son interlocuteur par la hauteur de ses vues, par son esprit, par la variété de ses connaissances. Une fois, il fut particulièrement cordial : il avait parlé d’oublier le passé et s’était répandu en bonnes paroles. Mezzabarba crut avoir ville gagnée et rédigea pour le pape une dépêche triomphante ; mais l’empereur ayant, dès le lendemain, demandé communication de la bulle Ex illa die elle-même, et l’ayant lue, inscrivit en marge, de son propre pinceau trempé dans le vermillon, quelques annotations fort insolentes et fit défense formelle de publier ce document dans son empire. Ainsi s’évanouirent les rêves du légat. Kang-hi ne cessa pas de se comporter envers lui avec beaucoup de politesse, mais il resta inflexible. Mezzabarba partit, promettant d’en référer au pape et de revenir avant trois ans avec une réponse définitive. La mort de l’empereur le dispensa de tenir cette promesse. Ce fut bien fâcheux pour l’église. Elle perdit ainsi la dernière chance de régler par une transaction cette question irritante des rites, qui fut définitivement résolue dans le sens le plus restrictif par une bulle de Benoit XIV, en 1742.

Après la mort de Kang-hi, le christianisme, déconsidéré par ses propres dissensions, vit se clore la période de tolérance qu’il devait