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traditions du premier empire, tandis que les états-majors prussiens auraient de longue date compris le rôle que les chemins de fer et les télégraphes seraient appelés à jouer dans les combinaisons de la stratégie. Jeter sur un point donné, dans le plus court délai, le plus de combattans possible, tel serait le secret de la guerre moderne. Ce problème, le général de Moltke l’aurait résolu victorieusement, et non content de la rapidité dont l’armée a fait preuve dans la campagne de Bohême, il se serait appliqué à gagner encore trois ou quatre jours sur l’ancienne mobilisation. — Son plan de campagne arrêté et concerté dans ses moindres détails lui permettrait, avec l’aide des nombreuses lignes de chemins de fer parallèles qui aboutissent sur nos frontières, de nous surprendre en pleine formation, et de remporter, par le fait d’une supériorité numérique écrasante, les premières victoires, qui, selon toute vraisemblance, décideront du sort de la campagne. Le gouvernement prussien serait d’ailleurs résolu à ne pas se laisser arrêter par des négociations dilatoires qui, en retardant l’ouverture des hostilités, nous permettraient de compléter nos préparatifs et de concentrer notre armée sur la frontière. Il connaît la valeur du temps et il saura déjouer les manœuvres habituelles de la diplomatie. Le jour où la Prusse sera convaincue que la guerre est irrévocablement décidée dans les conseils de l’empereur, et elle ne sera pas la dernière à en être informée, elle donnera instantanément l’ordre de la mobilisation, et elle procédera avec une telle énergie, qu’elle sera certaine d’avoir sur nous l’avantage de la vitesse et du nombre.

« Je n’ai pas à me prononcer sur la valeur des critiques et des combinaisons dont je viens de me rendre l’interprète, mais il était de mon devoir de ne pas vous les laisser ignorer. J’ai eu soin, d’ailleurs, d’en faire ressortir suffisamment l’arrière-pensée politique[1]. »

La seule question qui se débattait naguère, lorsqu’on parlait de la puissance militaire des états du continent, était de savoir si la France pourrait tenir tête à l’Europe coalisée ; M. Thiers n’en doutait pas, lorsqu’en 1840 il défiait, à propos de l’Egypte, si tristement sacrifiée depuis, à la fois l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et la Prusse. Ce sentiment démesuré de notre puissance avait disparu. Les plus optimistes reconnaissaient que l’équilibre des forces était rompu à notre détriment. On se demandait anxieusement, en face des enseignemens sortis de la campagne de Bohême, non plus si la France pourrait tenir tête à une coalition, mais si, avec l’infériorité de son armement et de ses effectifs, elle l’emporterait sur la Prusse, et si cette lutte ne serait pas une épreuve mortelle. Le fait seul que

  1. Dépêche de Francfort