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« Quant à notre artillerie, elle serait fort en retard, elle n’aurait subi aucune modification essentielle. On aurait maintenu les canons se chargeant par la bouche, le système de la culasse ne serait appliqué que dans l’artillerie de marine. Le nombre de nos pièces de campagne serait insuffisant, notre artillerie de siège ne serait pas à la hauteur des exigences modernes. La mitrailleuse, dont on parle mystérieusement, ne serait qu’une variante du canon Gatling; son emploi serait borné et malaisé. Le fusil Chassepot n’aurait pas toutes les qualités qu’on lui prête, sa fabrication serait en retard; on serait loin d’avoir atteint le chiffre indispensable à une infanterie de 500,000 hommes. Il ne faut donc pas, dit-on, exagérer les armemens auxquels procède la France; ils lui sont imposés, elle est condamnée à des efforts extraordinaires pour être en mesure de se défendre et pour atteindre le niveau de la Prusse, qui depuis vingt ans n’a pas cessé de pourvoir à son organisation. On ajoute que la fabrication de nos munitions serait compliquée, que l’organisation de la garde nationale mobile rencontrerait des difficultés de tout genre et que jamais, quoi que nous fassions, nous n’arriverons à mettre en ligne autant de forces que celles que nous opposera la Prusse dès le début de la guerre.

« L’armée française, disent les généraux, sera victorieuse le matin, mais elle sera toujours écrasée le soir par l’arrivée de réserves fraîches, auxquelles elle n’aura plus rien à opposer.

« On veut bien reconnaître que des ordres sont donnés pour procéder à la transformation de nos places fortes ; des travaux seraient commencés à Metz et à Belfort ; mais ces travaux seraient à peine ébauchés, et au train dont ils marchent, il faudra bien du temps pour les terminer. La France, en un mot, ne ferait tout au plus que réparer le temps perdu. Restée longtemps en retard, réveillée en sursaut, elle s’efforcerait de reprendre son rang et de se mettre au niveau de sa rivale. La Prusse, au contraire, qui a progressé lentement et successivement, aurait une avance considérable ; son artillerie se chargeant par la culasse serait supérieure, autant par la justesse que par la rapidité de son tir. Ses forteresses seraient armées et toutes ses dispositions si bien prises, qu’elle pourrait instantanément, sur un ordre télégraphique de Berlin, entrer en campagne.

« Aussi les officiers prussiens, contrairement à ce qu’on soutenait avec une persistance si véhémente, au mois d’avril, lors de l’incident du Luxembourg, se refusent-ils à prêter à nos arméniens un caractère inquiétant. La France n’est pas prête, disent-ils, et, malgré tous ses efforts, elle restera, par le fait des vices de son organisation et des excès de sa centralisation, dans une infériorité certaine. A les entendre, nos états-majors en seraient demeurés aux