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lui-même à l’Atlas ou au Mont-Blanc ? ou qu’il se fait interroger par une. « bouche d’ombre » pour répondre a qu’il fait son métier de flambeau ? » On rit… et on n’est point désarmé. Je ne veux rien ajouter de la violence et de la grossièreté de ses haines.

Cela ne l’empêche pas d’être un très grand poète, et de beaucoup le plus grand artiste en vers que nous ayons en jamais dans notre langue. On le dit du moins, on le répète, on a raison, mais on ne prend pas la peine de le montrer, et c’est ce que M. Faguet a pensé qu’il serait temps de faire. Je recommande aux curieux de ce genre de questions, — et ne devrions-nous pas l’être tous ? — les deux chapitres intitulés, le premier : l’Expression, et le second : le Rythme chez Hugo. Ce sont deux études techniques, sans aucun doute, et, comme telles, très spéciales, très détaillées, très minutieuses ; mais ne faut-il pas toujours en venir là si l’on veut une fois sortir des généralités vagues et mesurer en poésie l’importance de la question de forme ? A peine d’ailleurs ai-je besoin d’ajouter que ce n’est ni dans les Orientales, ni dans les Feuilles d’automne que M. Faguet étudie surtout les rythmes et le style de Victor Hugo, mais de préférence, dans les Contemplations, dans la Légende des siècles ? dans les Chansons des rues et des bois. Là est, en effet, le vrai Victor Hugo, celui qui a renouvelé la langue poétique de son temps et, par malheur, emporté pour toujours peut-être avec lui le secret de ce renouvellement. « Créer de nouvelles images, puisque les anciennes sont les cendres de flammes éteintes ; avoir assez de puissance pour pousser la métaphore jusqu’à l’allégorie sans être froid, l’allégorie jusqu’au symbole sans être forcé, et le symbole enfin jusqu’à cette coordination vivante de symboles qui se fait, accepter de l’imagination comme une réalité, c’est-à-dire jusqu’au mythe, » telle serait, selon M. Faguet, la formule du don créateur chez Hugo ; et elle est un peu longue, mais les exemples qui l’illustrent en justifient chacune des parties, et je n’en connais pas de plus compréhensive, ni par conséquent de meilleure. Il y a vraiment dans Hugo au voyant, au sens ancien du mot, et comme un poète des âges primitifs égaré parmi nous. Mais il y a encore un artiste, héritier naturel de tous ceux qui l’ont précédé, mais unique, incomparable, inimitable pour enchaîner sous la loi du rythme ses images et ses visions. « L’art de s’exprimer par des phrases, musicales, d’associer intimement le son à la pensée, de se faire comprendre par l’oreille autant que par l’esprit, et avant même que l’esprit ait entendu, Hugo l’a eu tout de suite, d’instinct et en perfection. Sa merveilleuse divination de lai forme lui a révélé ces deux formes de la pensée, le style et le rythme, et il les a fait conspirer ensemble d’une manière inimitable. « Et c’est ce que M. Faguet s’est attaché à prouver, avec une sûreté d’oreille, une justesse de distinctions, une délicatesse de goût et un choix d’exemples tout à fait remarquables. On a beaucoup écrit, dans ces