Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux faire en faisant comme lui, et de réaliser ce qu’il n’avait pu qu’entrevoir.

Plus juste pour Musset, et, si je ne me trompe, tout à fait équitable en ses conclusions, je crains seulement que M. Faguet n’ait réduit à quelques traits trop simples ce qu’il y a d’assez complexe dans le talent ou le génie du poète des Nuits. Très Français, très Parisien, et jusqu’à la gaminerie ; fat et candide à la fois ; un peu bourgeois, quoique poète, mélange de Villon, de Régnier tout au moins et de Lauzun ou de Casanova ; joignant à quelques traits de l’honnête et ferme Boileau quelques traits empruntés de Byron ; tantôt assez content de rimer faiblement en prose, et tantôt, au contraire, dans ses Proverbes et ses Comédies ; retrempant, comme l’a dit M. Montégut, aux sources mêmes de la nature a pour les faire épanouir en fleurs vivantes et embaumées » les métaphores les plus usées ; poète immortel de la jeunesse, et non pas peut-être de l’amour, mais au moins de la volupté, grand poète enfin dans la passion, et grand à l’égal des plus grands, je ne retrouve pas dans l’Étude de M. Faguet tous ces aspects successifs ou simultanés de la physionomie de Musset. Y seraient-ils peut-être, et ne faudrait-il m’en prendre qu’à moi de ne les avoir pas vus ? Mais, en tout cas, l’Étude ici n’est qu’une esquisse, et, comme je le disais, je trouve le jugement juste, mais je le voudrais plus abondamment et diversement motivé.

C’est au contraire une véritable Étude, et non-seulement avec la première l’une des plus remarquables des dix, mais la plus complote et la plus personnelle de toutes, que le Victor Hugo de M. Émile Faguet. Félicitons-le d’abord comme d’un acte de courage d’avoir ramené l’Hugo de la légende aux proportions de la réalité : « À essayer de voir son caractère dans son ensemble, dit très bien M. Faguet, on se figure une âme insuffisamment élevée, et même assez ordinaire, dépaysée dans un grand génie, comme un homme du commun dans une grande place, et y contractant des défauts de parvenu. » Lisez : le Samuel Bernard de la rime, ou le Turcaret de la poésie. Jamais infatuation plus superbe de soi-même, jamais pareille inconscience du ridicule, et jamais non plus, par une conséquence inévitable, pareil débordement d’injures contre quiconque n’avait pas trouvé ses vers bons. Il est vrai qu’en ce cas on avait tort le plus souvent. Cependant la plupart de ceux qui, depuis qu’il est mort, ont parlé de Victor Hugo, n’ont rien dit ou presque rien ni de cette vanité monstrueuse, ni de tant d’autres défauts de l’esprit ou du caractère qui ne laissent pas en somme de composer une moitié du dieu. Autour de l’homme, ils ont paru vouloir faire un respectueux silence, une obscurité pieuse. Et cela serait bon, louable et décent, si, selon la remarque de M. Faguet, Hugo ne se fût arrangé de manière à mettre constamment et obstinément sa personne dans ses œuvres. Le moyen d’oublier l’homme quand il se compare