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Faguet ajoute, et c’est sa conclusion : « Historiens, poètes, romanciers moralistes, philosophes spiritualistes, historiens des idées religieuses, voyageurs, et ceux-là même, derniers venus des modernes qui disent avoir inventé l’écriture artiste, tous lui doivent quelque chose, et tous au moins un esprit public préparé à les comprendre. »

Passons rapidement sur Lamartine, sur Vigny, sur Musset. Ce n’est pas que chacun de ces chapitres ne soit riche, aussi lui, d’intéressantes remarques : mais ils ne valent pas le premier, et je les voudrais plus justes, ou même parfois plus étudiés. Je ne dis rien d’une lecture plus attentive de la Correspondance, qui peut-être eût permis à M. Faguet de mieux voir pourquoi le style épique ou philosophique de Lamartine rappelle quelquefois celui de la Henriade ou des Discours sur l’homme : c’est que Voltaire fut vraiment le premier maître de Lamartine, et que tout ce que Lamartine n’a pas tiré de lui-même, j’oserais presque dire qu’il le doit à Voltaire. Mais, s’il faut avouer avec M. Faguet, qu’entraîné par son abondance et sa facilité, Lamartine a souvent manqué d’art, j’aimerais qu’il eût dit plus fortement qu’aucun poète en revanche n’a été plus naturel. M. Faguet l’a dit, mais pas assez, et, je crois, avec trop de réticences.

Un peu froid pour Lamartine, sinon un peu sévère, M. Faguet me le paraît d’autant plus que je le trouve au contraire plus indulgent, trop indulgent à Vigny. On sait qu’avec Baudelaire, — auquel Dieu me garde de le comparer ! — Vigny, pour nos jeunes poètes, est le maître aujourd’hui, et un maître bien plus vénéré qu’Hugo même dans leur petite chapelle. Si M. Faguet ne va pas, lui, jusqu’à la vénération, il ne s’en faut de guère, et nous avions vraiment besoin des dernières pages de son Étude pour en corriger les premières. « Le dernier mot qui revient quand on conclut sur Vigny, nous dit-il, est celui d’original ; la dernière impression est celle d’une force solitaire, travaillant à l’écart, dans une grande tristesse et sous un ciel morne, sans hâte et sans bruit, produisant quelques fruits précieux et rares, à qui la matière a fait un peu défaut, et qui se l’est un peu refusée, à qui a manqué aussi le sourire, mais non pas la grâce. » Il y a bien de la vérité dans ce court jugement ; mais, au mot d’originalité, qui d’ailleurs pourrait bien blâmer ou critiquer aussi souvent qu’il loue, je voudrais ajouter pour ma part celui de prétention ou d’affectation, et aussi celui d’impuissance. Non-seulement « Monsieur le comte » l’est toujours demeuré, mais il a toujours pensé plus haut, si je puis ainsi dire, qu’il ne pouvait exécuter, et je veux bien que ce fût son honneur, s’il avait fait profession de métaphysicien, mais, étant poète et romancier, c’est incontestablement sa faiblesse et son infériorité. Après cela, je reconnais volontiers que l’Influence de Vigny sur toute une direction de la poésie contemporaine a été grande, considérable même, et précisément parce que l’on n’a pas désespéré, en l’imitant, de le surpasser, de