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du docteur John Wesley peut être enseignée à des Cafres, si elle est vraiment un article d’exportation, si le cerveau d’un Betchouana est constitué comme le nôtre, si la lumière divine peut traverser ce singulier cristal trouble sans y subir les réfractions les plus étranges. « A Calicut, a dit Montesquieu, c’est une maxime d’état que toute religion est bonne. Mais il n’en résulte pas qu’une religion apportée d’un pays très éloigné et totalement différent de climat, de lois, de mœurs et de manières, ait tout le succès que sa sainteté devrait lui promettre. » Nous savons que beaucoup de ces Hovas que les missionnaires anglais se vantent si bruyamment d’avoir convertis se font une idée baroque des sacremens. Tel d’entre eux tient pour démontré que l’homme qui a reçu l’eau du baptême a plus de chances qu’un autre d’être respecté des caïmans. Tel autre éprouve en approchant de la table de la communion des transports de sainte gourmandise : il est heureux de communier sous les deux espèces, il considère le vin consacré comme un élixir de longue vie. Enfoncés dans leur ténébreux fétichisme, les Betchouanas ont moins d’ouverture d’esprit que les Hovas. Il est méritoire à un chrétien de vouloir les convertir à sa foi ; mais le plus souvent ce n’est pas le christianisme qui convertit les Cafres, ce sont les Cafres qui convertissent le christianisme en quelque chose qui leur ressemble beaucoup.

Le commandant Aylward, auteur d’un livre intéressant sur le Transwaal, demandait un jour à un prêtre catholique de Durban, qui avait travaillé vingt et un ans sur la côte orientale de l’Afrique du Sud, combien de Zulus il avait convertis. « Pas un seul, » répliqua.-t-il. M. Aylward avait posé la même question au révérend docteur Allard, qui lui avait répondu : « Je ne connais aucun Zulu que la prédication des missionnaires ait rendu plus honnête ; en revanche, j’en connais, quelques-uns que le baptême a rendus plus vicieux qu’ils ne l’étaient auparavant. — En ce qui concerne mon expérience personnelle, ajoute M. Aylward, je déclare que les Zulus sont une nation de menteurs, et que le peu de convertis qu’on peut trouver chez eux sont des menteurs encore plus déterminés et plus habiles que les autres[1]. » Les Zulus sont une race guerrière, conquérante et pillarde, qui ne se fait aucune conscience de s’emparer du bien et du bétail d’autrui. D’autres populations africaines, telles que les Bassoutos ou les Betchouanas, sont plus douces, plus réglées dans leurs mœurs comme dans leurs conseils, plus accessibles aux bonnes impulsions. S’il est permis de douter que Robert Moffat ait initié beaucoup de Betchouanas aux doctrines de John Wesley et aux mystères de la grâce, on doit reconnaître qu’il a beaucoup fait pour améliorer leur sort, pour réformer leurs usages,

  1. The Transwaal of to-day, by Alfred Aylward. Edinburgh and London, 1878.