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fœderis que son prédécesseur, le baron de Pfordten, avait eu tant de peine à arracher à la Prusse victorieuse, s’il n’avait pas vu l’armée française désorganisée et le gouvernement impérial affaibli par les attaques d’une opposition intransigeante, plus soucieuse du pouvoir que de nos frontières.


II. — LES PRÉOCCUPATIONS DES COURS ALLEMANDES AU SUJET DE LA FRANCE.

La situation de la France préoccupait, en effet, les cours allemandes ; elles craignaient que l’empereur, atteint dans son prestige par ses déconvenues diplomatiques, ne fût amené à chercher au dehors un dérivatif aux hostilités vindicatives qui battaient son autorité en brèche. La Prusse seule ne s’en alarmait pas ; le désarroi qui régnait à Paris dans les sphères gouvernementales, et les symptômes révolutionnaires qui déjà se manifestaient dans les chambres et dans la rue, n’avaient rien qui pût lui déplaire ; elle spéculait sur une crise qu’elle voyait approcher rapidement, pour achever l’Allemagne en face de nos divisions. Déjà ses journaux parlaient d’un changement de régime en France et préparaient l’opinion aux résolutions qu’une révolution à Paris imposerait au cabinet de Berlin et à ses alliés.

Machiavel admirait notre esprit de solidarité en face des périls extérieurs : « Les Français, disait-il, dans leurs discours et dans leurs actions, défendent la Majesté du roi et la grandeur du royaume; il n’est rien qu’ils ne supportent plus impatiemment que d’entendre dire qu’une chose est honteuse pour le roi; quelque parti qu’il prenne dans la bonne ou la mauvaise fortune, le roi est toujours au-dessus de la honte, qu’il soit vaincu ou vainqueur[1]. »

Cette solidarité, qui a été le salut de la Prusse en 1806, du Piémont après Novare et de l’Autriche après Austerlitz, Solférino et Koeniggraetz, avait depuis longtemps disparu en France. Elle s’était rompue d’une façon tragique en 1792. Le succès s’est depuis lors imposé à tous les gouvernemens ; ils ont été sacrifiés successivement dès que la fortune les abandonnait; souvent ils ont expié les passions et les entraînemens de l’opinion. Les erreurs de Napoléon III étaient éclatantes, indéniables, mais l’opinion ne l’avait-elle pas poussé dans la voie funeste où il avait engagé sa politique extérieure? N’avait-elle pas, bien avant le second empire, proclamé l’émancipation des peuples? Nos écrivains, nos orateurs n’avaient-ils pas pris en mains, sous tous les gouvernemens, depuis 1815, la cause des Grecs, des Polonais, des Roumains et des Italiens? Les fautes étaient commises, les récriminations ne servaient qu’à les

  1. Machiavel. Discours sur la première décade de Tite Live.