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en lui disant qu’il ne méritait pas cet honneur : « Un Titien, lui répondit-il, est bien digne d’être servi par un César. »

Quoiqu’il en soit de l’authenticité de ces légendes, ce qui est certain, c’est que Charles-Quint donna, jusqu’à son dernier jour, à Titien, des preuves effectives de son admiration. Lors de ce premier voyage à Augsbourg, il lui doubla sa pension de Milan en prenant des mesures pour qu’elle lui fût payée intégralement. Son amitié multiplia les attentions, trois ans après, lorsqu’il lui imposa de nouveau la fatigue d’un séjour hivernal dans ce dur climat. À ce moment, Charles-Quint, malade, dégoûté, plus triste que jamais, mûrissait déjà la résolution de quitter le monde. Il demanda à Titien de lui faire une composition allégorique dans laquelle seraient exprimées toutes ses désillusions mondaines en même temps que sa soif immense de bonheur et de repos. Titien lui proposa de lui représenter la gloire de la cour céleste, avec la Trinité, les vierges, les patriarches, les prophètes, les évangélistes, s’ouvrant à ses désirs et à ses pénitences ainsi qu’à ceux des êtres qui lui étaient le plus chers, sa femme Isabelle, sa sœur Marie, son fils Philippe. L’étude de ce projet, qui devint le tableau de la Trinité, donna lieu à de fréquentes conférences. Avant que Titien quittât Augsbourg, l’empereur lui assigna, au nom de son fils Philippe, une nouvelle pension de 500 écus. Deux ans après, en 1553, comme il se trouvait en Flandre, le bruit ayant couru de la mort du Titien, il s’empressa d’écrire à Vargas, son ambassadeur ; nous avons le rapport de ce dernier, qui le tranquillise en l’informant que, non-seulement le peintre est en vie et en bonne santé, mais qu’il travaille activement pour lui et qu’il a été profondément touché de sa sollicitude. Lorsqu’il se décida enfin à abdiquer, en 1555, il ne voulut point renoncer tout à fait aux joies de l’art : il emporta, dans sa solitude de Saint-Just, toutes les peintures de Titien qui pouvaient convenablement entrer dans cette pieuse retraite, trois portraits et six tableaux religieux. Parmi ces derniers se trouvait la Trinité, pour laquelle, peu d’instans avant sa mort, il ajouta un codicille exprès à son testament, voulant qu’on la mieux encadrer cette belle peinture et qu’on la plaçât, en souvenir de lui, sur le maître-autel du couvent.

À partir de 1555, c’est avec Philippe II que Titien correspond. Les archives de Simancas ont conservé, en grand nombre, les minutes des lettres royales et les réponses du peintre. Philippe II y montre pour Titien la même affection et la même admiration que son père. La plupart des autographes du peintre sont annotés de sa main, et, dans ses réponses, il s’occupe des moindres détails avec la minutie pointilleuse d’un bureaucrate expérimenté. C’est à