Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la sévérité même du vieux Michel-Ange. La Danaé fut peinte pour le cardinal ; Ottavio se fit donner une Vénus, probablement une répétition d’une des Vénus couchées appartenant au duc d’Urbin ou au duc de Mantoue. L’exécution de nudités aussi franchement voluptueuses, sous les yeux du saint-père, dans son palais même, au moment où s’ouvrait le concile de Trente pour la réforme des abus de l’église et la répression des écarts du clergé, n’est pas un des traits de mœurs les moins significatifs de cette singulière époque.

Au bout de sept mois, toujours flatté, toujours leurré, Titien, regrettant de plus en plus la paix de Venise, quitta Rome sans avoir avancé en rien ses affaires. Peut-être même brusqua-t-il son départ sur la nouvelle que la question des bénéfices se compliquait encore ; en effet, tandis que l’évêque Sertorio paraissait disposé à céder, le duc de Ferrare et le cardinal Salviati, plus voisins de la place, avaient profité de son absence pour lancer un nouveau candidat. Il s’arrêta pourtant en chemin pour voir Florence, où il éprouva les mêmes admirations qu’à Rome et pour faire à Plaisance le portrait de Pier-Luigi Farnèse, ce vicieux personnage dont Charles-Quint allait se débarrasser, l’année suivante, en le faisant assassiner. A son arrivée à Venise, il trouva ses affaires en meilleur état qu’il n’espérait, grâce à l’intervention du légat Giovanni della Casa. Le cardinal Alexandre, celui de tous les Farnèse qui semble lui avoir témoigné le plus d’intérêt, pressa, de son côté, l’expédition de la bulle. Quelque temps après, en 1547, après la mort de Sébastien del Piombo, il fit même de nouveau offrir les sceaux à Titien. Cette fois, le peintre n’avait plus aucune raison de refuser ; il accepta. Les désirs des Farnèse, qui voulaient avoir Titien à leurs ordres, comme ils y tenaient déjà Michel-Ange, étaient sur le point de s’accomplir. La nomination de Titien allait être signée lorsqu’il reçut une invitation pressante de l’empereur de se rendre à Augsbourg, où la diète allait se réunir. Les obligations que Titien avait envers Charles-Quint ne lui permettaient pas d’hésiter. Il s’empressa d’adresser une lettre d’excuses au cardinal, avec lequel il resta, d’ailleurs, en correspondance, et se disposa à partir pour l’Allemagne.


III

Les faveurs que Titien reçut des cours d’Italie ne sont rien si on les compare à celles dont le combla Charles-Quint. Des documens certains nous le montrent en relations suivies avec le victorieux empereur, lors de la seconde conférence de Bologne, en 1532. La descente du César à travers la Haute-Italie avait été une promenade triomphale. Tous les principicules de la contrée, tremblans pour leurs possessions ou avides de les agrandir, dépêchaient au-devant