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et apprécie aussi bien que qui ce soit l’état des choses, mais il sent qu’il lui faudrait, pour défendre sa couronne, une énergie et une activité qui ne sont ni dans ses goûts ni dans ses habitudes. » Réduit au rôle de vassal, il se retranchait dans un monde imaginaire pour s’y créer un pouvoir sans limite et sans contrôle. Le roi soleil était son idéal ; il semblait subir les lois mystérieuses de l’atavisme en poussant jusqu’à la démence la manie qu’avaient eue jadis les souverains allemands de se modeler servilement sur la cour de Versailles.

Le roi de Wurtemberg ne se révoltait pas contre le destin, il s’en accommodait. Inspiré par la cour de Russie[1], dont il suivait les conseils et reflétait les sentimens, il intervenait dans les luttes de son parlement non pour défendre ses prérogatives, mais pour hâter son asservissement. Il convoquait les députés dans son palais, individuellement, pour leur demander d’abjurer leurs préventions contre la Prusse, de se préoccuper des conséquences d’une rupture; il les suppliait de ne pas laisser sa signature en souffrance. Il s’attirait parfois de déplaisantes répliques. «J’ai toute ma vie fidèlement servi la couronne, lui répondait le baron de Lobenstein, le doyen de la chambre des seigneurs, et j’estime la bien servir encore en repoussant, malgré les instances de Votre Majesté, des traités qui portant atteinte à son indépendance. » Les chefs des familles médiatisées ne se montraient pas, au même degré, soucieux de l’indépendance de leur souverain. Les princes des différentes branches de la famille de Hohenlohe, — on en comptait jusqu’à cinq dans la chambre des seigneurs, — se posaient en défenseurs résolus des traités. Peut-être ne leur déplaisait-il pas de voir la maison royale de Wurtemberg, qui, avec l’aide de la France, sous le consulat et le premier empire, les avait dépossédés, entrer à son tour dans la voie fatale d’one prompte et inévitable déchéance. « On est toujours assez fort, disait La Rochefoucauld, pour supporter les maux des autres. »

L’opposition, malgré l’intervention de la cour et les efforts des ministres, ne persistait pas moins à représenter la ratification des traités comme la consécration du vasselage des états du midi. Elle prétendait, en s’appuyant sur des considérations stratégiques, que la Prusse, à l’heure du danger, serait impuissante à les secourir. Elle montrait la Bavière et le Wurtemberg exposés sans défense à

  1. Dépêche du marquis de Châteaurenard. — « J’ai dit dans le temps avec quelle violence s’exprimait le ministre de Russie sur le compte du baron de Varnbühler et sur ses tendances prussiennes. Depuis le passage de l’empereur Alexandre et du prince Gortchakof à Stuttgart, l’envoyé du tsar ne parle plus ainsi ; il se fait au contraire l’apologiste de la politique allemande du cabinet de Berlin et son défenseur. Ce changement a été aussi brusque que complet. »