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avait été achevée sept ans avant la date fixée par l’acte de concession.

Le rêve de Christophe Colomb devenait une réalité. Par l’ouest, on atteignait l’Asie. Quand, le 3 août 1492, après huit années d’efforts et de sollicitations, il obtenait, enfin, de la générosité d’Isabelle et de Ferdinand, trois vaisseaux et, s’embarquant à Palos, faisait voile vers l’ouest, c’était l’Inde qu’il cherchait, la mystérieuse et opulente Cathay, qu’il pensait atteindre, là-bas, où se couchait le soleil, dans cet Ouest empourpré vers lequel l’entraînaient son génie et cette force inconnue qui, sans trêve ni relâche, pousse le monde vers l’Occident. L’Amérique lui barrait la route ; Cuba, Saint-Domingue l’arrêtèrent. Quatre fois il revint à la charge, espérant toujours forcer le passage, découvrir un détroit, le cherchant de l’embouchure de l’Orénoque à Caracas, croyant un instant l’avoir trouvé au Darien, ne soupçonnant pas que vingt-cinq lieues de terre le séparaient seules alors de cet Océan-Pacifique dont les flots baignaient les rives asiatiques.

Cette gigantesque voie ferrée, la plus longue que l’on ait encore construite, formait le dernier anneau de la ceinture du monde autour duquel la vapeur court sans temps d’arrêt de Paris, de Londres, de Vienne, de Saint-Pétersbourg sur New-York. Chicago, San-Francisco, puis par Yokohama, Shanghaï, Hong-Kong et Calcutta rejoignant Suez, Port-Saïd et Marseille, charriant dans son parcours, de plus de 7,000 lieues, les produits manufacturés de l’Europe, les blés de l’Amérique, les lingots d’or et d’argent des états du Pacifique, les soies du Japon, le thé de la Chine, l’opium de l’Inde, ses tentures et ses tapis. Multipliant les échanges et la richesse, elle crée, avec de nouveaux besoins, les moyens de les satisfaire, réveillant sur son passage les vieilles civilisations endormies, détruisant les barrières qui séparent les races et les peuples, supprimant les distances et semant sur toutes les côtes, avec des produits inconnus, des idées nouvelles.

San-Francisco devenait l’une des étapes importantes de ce vaste parcours, l’une des grandes villes où devaient forcément s’arrêter le voyageur, se transborder les échanges entre l’Europe et l’Asie ; son or et son argent s’écoulaient à l’est et à l’ouest, sur la Chine et les Indes aussi bien que sur New-York, Londres et Paris. Entrepôt des métaux précieux, c’était dans ses puissantes maisons de banque que se concentraient ces lingots avec lesquels se soldaient les comptes entre l’Europe et l’Asie. Tributaires pendant quelques années de l’étranger, la Californie s’était affranchie de ce joug ; à son tour, elle voyait l’univers tributaire de ses mines, intéressé à ce que sa production ne s’arrêtât ni ne se ralentît.

À l’âge d’or succédait l’âge d’argent. Les mines de Comstock avaient détrôné les placers aurifères, passant, elles aussi, par ces