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brutalement les dépossédait. Un Indien des prairies auquel, au gué d’une rivière, un gendarme demanderait ses papiers, ne serait pas plus ahuri qu’ils ne l’étaient quand on leur réclamait leurs titres de propriété, à eux qui, à quelques centaines d’hectares près, en ignoraient la contenance et les limites. Leur temps était fini, ils n’avaient plus de raisons d’être ; force leur était de céder la place à d’autres, comme les Indiens leur avaient cédé la leur. Ces terres, sur lesquelles ils n’exerçaient qu’un droit de pâturage, devaient être défrichées, labourées, ensemencées, porter d’abondantes moissons. Ces forêts produisaient des bois de charpente et de construction et surtout des sapins rouges d’un grain lâche, mais résistant mieux qu’aucun bois dur à l’action de l’humidité. On devait l’employer aux pilotis de la baie, l’exporter au Chili et au Pérou, qui en ont utilisé d’énormes quantités pour les traverses de leurs voies ferrées, le faire servir aux constructions maritimes. Toute cette matière première existait en abondance, et aussi les bras, les capitaux et l’intelligence pour la mettre en valeur.

Les premières tentatives d’agriculture faites par les nouveaux colons sur une petite échelle donnèrent donc des résultats tels que les progrès furent rapides. Vu la cherté des produits, le maraîcher gagnait autant que le mineur, avec cette différence que plus il fouillait le sol, plus il en augmentait la valeur, tandis que l’autre l’épuisait. Aussi vit-on promptement les abords des villes et des grands camps destinés à devenir villes, se couvrir de jardins que les petits cultivateurs bêchaient et ensemençaient de légumes dont la grosseur prodigieuse attestait la fertilité du sol. Ils apportaient sur le marché de San-Francisco des choux qui pesaient 15 livres, des potirons de 100 livres, des oignons de 2 livres, des betteraves de 15 kilogrammes, des navets de 7 et des carottes de 5. Les tomates, melons, radis, céleri, petits pois, patates poussaient partout, donnant des produits aussi abondans qu’excellens. Les arbres fruitiers grandissaient vite et portaient tôt : le poirier, le prunier, l’abricotier, donnaient à deux ans plus de fruits qu’à quatre ou cinq ans ailleurs ; un verger était en plein rapport à trois ans. On estime actuellement à 4 millions le nombre des arbres à fruits des climats tempérés et à 250,000 celui des arbres fruitiers des climats chauds ; 50,000 hectares sont affectés à ce genre de culture.

Les premiers essais furent tentés par des Français ; ils ouvrirent la voie. Industrieux et économes, ils réussirent. La viticulture surtout, cette industrie essentiellement nationale, devait attirer leur attention. Dès 1770, les missionnaires espagnols s’en étaient occupés. En 1820, le général Vallejo avait fait quelques plantations au nord de San-Francisco. Les ceps de madère y donnaient d’assez bons résultats, mais c’était surtout dans les comtés de Los-Angeles, de