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qu’elle n’est pas disposée à céder devant une politique qui a mis en péril tous les intérêts publics. On vient de le voir encore tout récemment par cette élection du département de l’Aisne, où le candidat conservateur, sur cent mille votans, n’a eu que quelques centaines de voix de moins que le député républicain élu. Toutes ces élections, où se reproduit en général ce phénomène d’un partage presque égal des voix, ont certainement une signification sérieuse, et c’est là justement peut-être ce qui fait l’opportunité de la hardie tentative de M. Raoul Duval pour rallier les forces modérées dans une action toute constitutionnelle. Il en sera sans doute ce qu’il pourra, l’imprévu a toujours un rôle dans ces mouvemens d’opinion ; mais, s’il y a un parti intéressé à favoriser cette évolution, c’est celui des républicains qui se disent modérés, qui ne le prouvent guère puisqu’ils sont les complices de toutes les violences, et qui n’ont pas d’autre moyen de se dégager des influences radicales sous lesquelles la république est menacée de s’affaisser, suspecte et déconsidérée.

Lorsque M. Raoul Duval signalait l’autre jour le danger des divisions intérieures dans l’état présent du monde, il donnait la raison la plus décisive contre la politique qui entretient et envenime ces divisions ; lorsqu’il montrait que, pour une nation comme la France, qui n’a aujourd’hui ni le bénéfice des fortes traditions de la monarchie, ni le prestige intact du passé militaire, il n’y a de sécurité et de force que dans l’union d’une grande démocratie, il exprimait la vérité la plus simple, la plus saisissante pour un patriotisme éclairé. C’est vrai depuis longtemps, c’est encore plus vrai à un moment où le monde ne se sent visiblement pas rassuré au milieu des obscurités croissantes qui l’enveloppent et lui ferment l’horizon. Ce n’est pas, si l’on veut, qu’il y ait des conflits imminens et inévitables, que la guerre soit en perspective pour demain ou pour le printemps, comme on l’a dit si souvent. Personne, on peut le croire, ne désire ou ne médite la guerre à l’heure qu’il est. Les volontés les plus puissantes, les intérêts des peuples et même des gouvernemens conspirent pour la paix : c’est sans doute une garantie. Il n’est pas moins évident qu’il y a partout aujourd’hui un sentiment indéfini de malaise, que partout on ne parle que d’armemens, d’accroissement des forces militaires, que le moindre incident suffit pour remettre en mouvement toutes les politiques, c’est-à-dire toutes les ambitions, et par suite, pour créer une de ces situations où une étincelle peut tout enflammer. Quand on parle de la paix de l’Occident, il faut toujours se défier de l’Orient. C’est le pays de l’imprévu et des périlleux antagonismes ; c’est là que se déroule, depuis plus d’un an, cette crise bulgare qui a commencé par une révolution, qui a continué par la guerre avec la Serbie, qui s’est compliquée, il y a trois mois, d’un coup d’état contre le prince Alexandre, naguère encore acclamé à Sofia, et qui, après avoir passé par toutes