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— Et sa commère Dorine, cette fine mouche, engraissée de fait à discrétion, demeure pourtant une fine mouche ; avec son bon sens de femme, elle refuse de se perdre en des rêves trop ambitieux : — et voilà que c’est une femme ! — Oui, la même qu’autrefois, sauf ce qu’apportent de changemens nécessaires l’âge et l’aisance ; elle est toujours gaie, prompte à la riposte, et secourable aux amoureux, ces amoureux fussent-ils sa fille et un prétendant léger d’écus, musicien de profession, honni par le père. Et la fille, avec ses grâces délicates (la race, dans le bien-être, s’affaiblit et s’affine), est-elle assez, la petite futée, une vive miniature de Scapin et de Dorine à la fois ! Ah ! le charmant trio !

Mais prenons que ces poupées ne soient que des poupées. — Suzette a donc un amoureux, Florisel, qui tient l’emploi de Léandre ; et Florisel est flanqué d’un valet Tristan, qui s’est affublé de la cape et de la barrette naguère illustrées par Scapin : voilà les personnages qui vont nous donner la parade. En vain Tristan, pour amadouer Scapin, son glorieux modèle, lui déclare son admiration avec autant d’humilité que d’emphase ; il l’avertit en vain que le notaire Barnabé court les tripots et que son fils Antoine est acoquiné à une drôlesse ; ne pouvant le détacher de ces bourgeois en faveur de son maître, il lui jette un défi : guerre aujourd’hui entre Scapin, qui joue les Géronte, et Tristan, qui joue les Scapin ! Rira bien qui rira le dernier. Jusque-là, qui rira mieux encore ? Le public, témoin de ce duel : ce n’est pas pour un autre effet que l’auteur fait s’entre choquer ses marionnettes.

Aussi bien, toutes marionnettes qu’elles sont, les spectateurs désirent que leur manège ait une apparence de logique Après cette annonce d’un duel entre Scapin et Tristan, ils s’attendent que Scapin soit fourbe à son tour. Cependant son adversaire, pour toutes bottes, continue de lui porter des avis francs : il est bien vrai que le notaire Barnabé a commis un faux, et qu’un brigand veut le faire chanter ; et ce brigand, aux gages de la maîtresse de son fils, est bien un vrai brigand. Scapin n’en veut rien croire : quand ce spadassin se présente, il fait assaut de rodomontades avec lui, et peu s’en faut qu’il ne s’attire un méchant coup. Le menteur émérite soupçonnant partout le mensonge, et se jetant, par méfiance, dans les embarras dont un conseiller sincère veut le détourner, assurément ce personnage est comique et l’idée en est plaisante. Mais c’est une autre idée que celle acceptée d’abord : il faut que le public change de voie, et son élan se ralentit.

Nouvelle vicissitude : Scapin, à la fin du deuxième acte, a pris décidément l’avantage sur le spadassin. C’est lui tout seul, au troisième, Tristan faisant défaut, qui dirige l’action. C’est lui qui débarrasse les planches de la drôlesse et de son acolyte ; c’est lui, par la même occasion,