Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cause. Il faut que les fils de Jahel déclament leurs couplets devant la porte de Jérusalem, à l’endroit même où se tiennent les sentinelles syriennes et l’état-major de la place, et la foule des curieux, et la fille d’Antiochus avec ses suivantes : à merveille ! Que tout le monde se retire ! On fait place nette; et bientôt les fils et la mère, comme sortis d’une trappe, occupent leur tribune. De même, aussitôt que chacun a eu son tour de parole, ils disparaissent; et, à point nommé, rentrent sur la scène, Antiochus, sa cour et son armée. Plus tard, sur l’avis d’un fin politique, le roi pense à négocier un mariage entre sa fille et le jeune Hébreu, pour réconcilier les deux races : il n’y a qu’à mander les amoureux et à laisser agir la nature ; surtout il sera sage de tenir la mère, cette irréconciliable ennemie, à l’écart; sans être un grand roi ni son conseiller intime, on s’aviserait de cette précaution. Mais quoi ! Il y a longtemps que Jahel, cette machine patriotique, n’a lancé un jet de haine contre l’étranger : cet exercice n’est-il pas l’objet de l’ouvrage? Antiochus et le fin politique envoient chercher Jahel exprès pour recevoir d’elle cette bordée. Ils veulent obtenir son consentement, disent-ils : vain prétexte, dont ils colorent leur obéissance à l’auteur. Celui-ci triomphe : encore un discours, encore un exemplaire de son manifeste ! Nous cependant, pas plus qu’à la vérité des caractères, nous ne pouvons croire à la vérité de l’action.

Voilà, si je ne me trompe, les raisons essentielles pour lesquelles cet ouvrage nous laisse froids ; il est superflu d’accuser tel détail de l’exécution où se laisse voir la gaucherie d’un auteur novice ; il serait vain, d’autre part, de compter sur tel coup de théâtre bien ajusté pour ébranler nos âmes. Jean, a-t-on dit, n’est pas serré entre sa passion et son devoir assez étroitement : il était blessé, il avait le délire, au moment où il fallait avertir ses frères, par un signal, qu’Antiochus changeait son plan de campagne ; donc point de lutte morale (qui, d’ailleurs, se fût trouvée reléguée dans l’entr’acte), et, dans la suite, point de justes remords. — Il se peut, mais ce n’est pas cette faute qui paralyse notre sympathie. — Jahel, par mépris, refuse de reconnaître Jean et lui dénie son droit au martyre ; il le réclame; elle lui ouvre ses bras, et, par ce geste, elle le condamne. — Voilà qui est beau; mais ce beau trait ne suffit pas à faire jaillir la source de nos larmes. Nous secouons la tête ; nous savons que tout ceci n’est qu’un jeu ; un jeu d’aspect sublime, en ce passage, d’accord ; mais comment Jahel et ces gens-là seraient-ils tout de bon sublimes, puisqu’ils n’existent pas?

Le seul plaisir que nous puissions attendre d’une pièce de ce genre est celui que donnent un beau style et de beaux vers. Les morceaux que les personnages viennent réciter par commandement de l’auteur peuvent être agréables à entendre. Et, en effet, de ces cinq actes, celui