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sans lecteurs, discrédités et usés à Washington, à New-York, à Boston, répugnant au travail physique, demandant leur part de bien-être et de fortune aux intrigues politiques, aux emplois grassement rétribués et aux profits inavouables. L’abondance de l’or, le désordre des finances et l’abaissement du niveau moral faisaient de la Californie la terre promise de ces politicians sans scrupule. Ils affluaient tout imbus des procédés électoraux et des traditions de Tammany Hall et de l’Albany Regence, experts dans l’art de frauder les votes, de pousser au pouvoir les plus hardis et les plus corrompus. Ils occupaient les principaux emplois, faisaient curée des deniers publics. Entre leurs mains la police était sans force, la magistrature sans autorité, l’état et la ville sans crédit. De 1849 à 1856, plus de mille assassinats avaient ensanglanté les rues de San-Francisco, et l’on en était encore à attendre une répression en dehors de celles dont le comité de vigilance avait pris l’initiative. Les assassins et les incendiaires étaient connus, on les désignait publiquement, ils se vantaient eux-mêmes de leurs exploits, assurés de l’impunité, maîtres des élections par la terreur qu’ils inspiraient et l’audace de leurs adhérens. La police n’était plus qu’un instrument électoral, mise en mouvement pour recruter des votes, indifférente ou passive le reste du temps, payée par les criminels pour ne rien voir et ne rien empêcher.

Vainement les hommes d’ordre essayaient de réagir. Tous leurs efforts venaient échouer contre une organisation savante, en possession des places et maîtresse des urnes électorales. L’irritation était à son comble quand un journaliste, William King, fonda un journal, le Bulletin, « pour réclamer, écrivait-il, les droits des citoyens opprimés et mettre à nu la corruption administrative qui ruinait les finances de la ville. » Acclamé par la partie la plus respectable de la population, encouragé par de nombreuses souscriptions, William King se mit à l’œuvre et commença la publication d’une série d’articles dans lesquels il dévoilait, avec les antécédens des hommes à la tête de l’administration, des faits nombreux de malversation. Violentes et passionnées, ses attaques dépassaient parfois la mesure ; emporté par l’ardeur de la polémique, il produisit certaines allégations dont il lui eût été difficile, peut-être, de fournir la preuve légale ; mais l’ensemble du tableau qu’il traçait était exact, sa bonne foi incontestable, et les sympathies les plus vives accueillaient ses articles quotidiens.

Le 14 mai 1855, il prenait directement à partie dans son journal un nommé James Casey. Il était de notoriété publique qu’aux élections précédentes James Casey, candidat pour la place de supervisor, avait présidé le bureau électoral et substitué nombre de bulletins à