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rôle important à San-Francisco et qui est resté le type des aventuriers commerciaux dans la Californie.


III.

Henry Meiggs débarqua à San-Francisco en 1849. Originaire de l’état de New-York, il s’occupa du commerce des bois de construction. Intelligent et actif, il réussit promptement et, dès 1850, il passait déjà pour l’un des plus riches de la communauté naissante. Affable et conciliant, généreux et toujours des premiers à souscrire largement pour les œuvres de charité et d’utilité publique, il devint très populaire. Son ambition grandissait avec sa fortune. Il acheta, à North-Beach, des terrains considérables, fit construire un quai qui portait son nom et dont la location lui assurait de gros revenus. Élu membre du premier conseil municipal de la ville, il prit une part active à toutes les améliorations votées. Disposant de capitaux considérables et d’un grand crédit, il soumissionna d’importans contrats pour le percement et le nivellement des rues, et tenait à sa solde une armée de travailleurs. Propriétaire de presque tous les terrains de North-Beach, le quartier nord de la ville, il fondait sur la hausse de ses terrains une spéculation formidable, mais, contrairement à son attente, la ville se portait de plus en plus vers l’ouest et le sud. Le taux élevé de l’intérêt de l’argent rendait su spéculation dangereuse. Une baisse soudaine des terrains, en 1854, le ruinait, mais il n’en laissa rien paraître. Engagé dans une foule d’entreprises, on le supposait plus riche et plus heureux qu’il n’était. La ville de San-Francisco, pour laquelle il exécutait alors de grands travaux, réglait ses créanciers en city warrants, bons de paiement à échéance, ayant cours, mais à 50 pour 100 de perte. On le savait, et les prix stipulés par les entrepreneurs de travaux publics se majoraient en conséquence.

Meiggs, créancier important de la ville, était gros porteur de ces titres, sur lesquels il empruntait le numéraire nécessaire pour payer ses nombreux ouvriers. On ne s’étonnait donc pas des quantités considérables qu’il en mettait en circulation. Bon nombre de capitalistes adoptaient ce mode de placement. Les city warrants, intimement liés à la prospérité de la ville, dont ils représentaient le crédit, devaient monter à mesure que cette prospérité s’affirmait, et se rapprocher du pair. On lui en achetait et on en acceptait en garantie des emprunts qu’il négociait. Ces emprunts se multipliaient, mais il désarmait les soupçons en soumissionnant constamment de nouvelles entreprises, et en déclarant lui-même