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alors que, lieu de refuge des rudes pâtres du Latium, elle abritait dans ses grossières demeures une population d’hommes jeunes, hardis, vigoureux, mais, eux aussi, sans femmes et sans enfans. La présence de ces êtres plus faibles va modifier toutes les conditions de l’existence. Le foyer se crée, l’église s’élève, l’école se construit. San-Francisco se métamorphose, les rues s’alignent, les costumes bizarres des premières années disparaissent. Au sans-gêne, à la brutalité, succèdent une urbanité relative, un parler moins grossier, des manières plus civilisées. On a hâte de sortir de la barbarie : on se lasse de vivre le revolver au côté, sans police et sans lois. On veut l’ordre et la propreté dans les rues, la sécurité, le droit de travailler sans avoir à risquer constamment sa vie pour protéger le fruit de son travail, sans sentir peser constamment sur soi les menaces d’incendie et de pillage. Contre l’incendie on organise un corps de pompiers volontaires, tous s’enrôlent ; contre le pillage et les bandits la police est impuissante ou complice, on la remplace par le comité de vigilance.

Il s’organisa le 22 février 1851 au grand jour. Ses chefs publient leurs noms et acceptent toutes les responsabilités, et ces noms sont ceux des hommes les plus en vue de San-Francisco : W. F. Coleman, D.-D. Shattuck et Hall Mc Allister. Trois mille citoyens répondent à leur appel et s’engagent à leur prêter main forte. John Jenkins est arrêté le 10 juin en flagrant délit de vol. Le comité le fait comparaître devant lui, le juge le condamne et le pend le même jour. Vainement les autorités locales protestent contre cette usurpation de leurs fonctions et lancent un mandat d’amener contre ces magistrats improvisés ; leurs adhérens y répondent par un manifeste revêtu de leurs signatures, se déclarant solidaires de leurs chefs et revendiquant la part prise par eux à l’exécution de Jenkins. Quinze jours plus tard, le comité fait arrêter James Stuart, voleur et assassin de profession, qui avoue, en ricanant, les meurtres qu’il a commis. On le pend à l’extrémité du quai de la rue Market. Whittaker et Mac-Kenzie, arrêtés par les autorités régulières, sont détenus en prison. Le comité de vigilance demande qu’ils passent en jugement tout de suite. Sur le refus de faire droit à cette requête, les chefs du comité font sonner le tocsin d’alarme, enfoncer les portes de la prison et amener les prisonniers devant eux. Reconnus coupables, ils sont pendus séance tenante. Ces mesures sommaires effraient les autres : ils s’empressent de quitter San-Francisco, où le comité se déclare en permanence.

A mesure que les transactions se multipliaient, le besoin d’une monnaie d’échange s’accentuait. On ne pouvait indéfiniment peser la poudre d’or ou des pépites. On admettait indistinctement, et à